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Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/262

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-254- nesque, dont la médiocrité même est un appât pour les lecteurs. Quoi de plus aisé, en somme, que de donner à la prose des allures et des cadences poétiques? C'est comme si le gymnasiarque, au lieu d'exécuter ses exercices à la hauteur d'un troisième étage, suspendait son trapèze à quatre pieds du sol ! Quant au vulgaire roman de mœurs, tel que le comprennent les natu ralistes, n'est-il pas à la portée de tous les fils de la Bête... humaine? Et, s'il faut parler de la postérité du Sar Péladan, ne se compose-t-elle pas de quelques Sarewitchs candides dont l'ignorance se mire dans l'éclat des mots qu'ils n'ont pas compris ? Il n'est point paradoxal de prétendre qu'au point de vue de l'effort, un sonnet suppose une plus grande dépense d'esprit que le Traité du Narcisse de M. Gide, et qu'un poème d'une trentaine de strophes exige un labeur plus méritoire que n'importe quel roman de M Marcel Prévost. L'effort de M. Fernand Roussel est d'autant plus désintéressé qu'il reste fidèle à la prosodie classique et au vers traditionnel. Or, il est un peu plus difficile d'obéir à la règle que de proclamer qu'il n'y en a pas. Je ne voudrais pas tromper M. Fernand Roussel sur la valeur de son œuvre. Le Jardin de l'Ame révèle une sensibilité très vive, quasi féminine, qui est assurément précieuse et dont le charme est incontestable. M. Fer nand Roussel a l'imagination du vers et la musique de ses strophes caresse doucement l'oreille. Malheureusement, le poète est tellement ébloui parles mots et par leur sonorité, qu'il les assemble parfois sans aucun souci d'ordre ou de logique. Il est tel sonnet du Jardin de l'Ame où je pourrais à mon gré, sans altérer le sens, modifier la place .des quatrains ou des tercets. M. Fernand Roussel a la maladie de l'imprécis et du décousu. Ses poèmes n'ont pas de colonne vertébrale. Le jour où il se donnera la peine, non pas d'entremêler harmonieusement des strophes, mais de les faire servir à l'ex pression d'une pensée, il sera vraiment un poète. Jusqu'ici, il nous a prouvé qu'une chose, c'est qu'il est capable de le devenir. Mais c'est à condition qu'il travaille et qu'il oublie les éloges dangereux qui ont accueilli sa première œuvre. ^* J'en dis autant, mais pour d'autres motifs, du roman de M. Henry Kiste- maekers fils, Lit de Cabot. M. Henry Kistemaekers fils entre en littérature avec des facultés très diverses et des aptitudes qui hésitent encore. Il va de la pierroterie funambulesque au drame argotique, et du drame argotique au roman à la Dubust de Laforêt. Lit de Cabot est construit selon toutes les règles de l'étude naturaliste, et le plan du roman, malgré l'enfantillage d'un dénouement inutilement dramatique, est d'une fermeté peu ordinaire chez un débutant. Mais l éloge serait mince, si, derrière les poncifs du roman naturaliste, — il y sont tous! — je ne voyais, très clairement, la trace d'un esprit d'observation que M. Henry Kistemaekers fils ne doit pas à l'école de Médan. Il y a quelques bonnes pages réalistes dans ce roman d'un natu ralisme laborieux. M. Jean Jullien, l'auteur dramatique applaudi à Bruxelles, est aussi un réaliste. Les trois nouvelles qu'il publie dans la collection de la Plume,