Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/271

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—263— temps sur le pays comme champion du korsbrood. Après lui, l'honneur de Luttérath ne pâlit pas encore. D'autres jeunes gens s'en firent les intrépides chevaliers. Geleen et Krawinkel ne remportaient plus une seule victoire. Mais il n'y a plus eu de roi du korsbrood à Luttérath depuis que le soldat Alm Vogelsang fut forcé de quitter le pays, sous peine d'être fusillé, pour avoir porté un mauvais coup au sous-officier qui le tourmentait. Au lieu du glorieux pain de kermesse, le fugitif, excellent ouvrier, gagne en France le pain amer de l'exil ! Et à présent c'est chaque fois Frans. le grand borgne de Krawinkel, qui conquiert la couronne. Ceux de Luttérath ne savent à quelle cause attribuer leur guignon. Alm était fort comme Goliath, mais son frère Willem le vaut bien, pourrait-on croire; puis, à défaut d'un Vogelsang, Luttérath possède une fournée de vigoureux compères aussi agiles et aussi crânes que les meilleurs des paroisses rivales, que tous les farauds qui les traitent de dégénérés et de femmelettes. O rage! Aujourd'hui même, comme le contingent de Luttérath défilait en bon ordre, Willem et les siens n'ont-ils pas entendu ceux de Krawinkel ricaner et se chuchoter l'un à l'autre en se poussant du coude : « Regardez donc ces fanfarons, ne dirait-on pas qu'ils tiennent déjà le korsbrood! Et cependant, cette fois encore ils s'en retourneront bredouille. Que ne cèdent- ils la place aux filles de leur paroisse! Peut-être la vigueur de Luttérath a-t-elle passé des culottes aux jupons ! » La honte de cette constante déconvenue rejaillit même sur tout le village. Les belles en sont arrivées à rougir de leurs galants. Les sœurs renient leurs frères et les pères doutent de leur propre sang. Une si dévorante soif de revanche altère tous les cœurs que dans l'espoir de ragaillardir ceux qui vont courir cette nouvelle aventure pour Luttérath, Borlinck, le riche Borlinck, un fanatique du korsbrood, a juré que sa fille épouserait le vainqueur, ce vainqueur fût-il encore une fois Frans, le vilain borgne de Krawinkel. Il en fait le serment malgré les larmes d'Isa, qui aime depuis longtemps Willem Vogelsang, le frère d'Alm, le proscrit, Willem le plus beau gars de Luttérath, comme elle en est la plus éblouissante vierge. De l'avis de tous les jeunes gens de la bourgade, ce Willem l'emporte aussi, en force et agilité, sur ses pays. Tous entretiennent la conviction qu'il sera le seul de la bande, capable de conjurer le mauvais sort jeté contre Luttérath et de rendre son ancien prestige à leur fière et copieuse jeunesse. « Eh bien, c'est le moment pour Willem de justifier l'opinion flatteuse que ces braves garçons ont de lui ! » a répondu Borlinck à sa fille qui le