Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/270

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— 2Ô2 mirifique parcourra le village. Partout on fera plantureux accueil au Roi. A lui gentes commères verseront le plus délectable breuvage. Et ces honneurs dureront plus d'un jour. Toute l'année, dans les fêtes et les jeux publics, la paroisse victorieuse aura le pas sur les autres. Ses congréganistes porteront le dais du saint Sacrement à la procession de la Fête-Dieu. Partout, même à l'église, lé roi occupera la première place et tant qu'un jouteur plus adroit et plus fort ne sera parvenu à lui ravir le korsbrood, la jeunesse de la contrée entière le reconnaîtra pour chef et sa commune natale demeurera le véritable chef-lieu du canton. Il s'agit même moins d'une victoire personnelle que du prestige de tout un village. Une étroite solidarité rapproche les gars du même clocher. Il importe surtout que le gagnant soit un des leurs. Cette année les champions se sont divisés en trois camps : le premier, com- poséde Geleenetde son hameau Geleen-Saint-Jean; le second, des garçons de Krawinkel et Neerbeek, et le troisième, des jeunes gens venus pour soutenir l'honneur de Luttérath. Ces partis se confondent dans la foule par groupes de quatre, de cinq, tout au plus de six joueurs prêts à se renforcer les uns les autres. Bien longtemps avant que s'engage la partie, des milliers d'étrangers ont envahi Geleen. Auberges et cabarets regorgent de voyageurs. Aucun pèlerinage ne réunit autant de fidèles. Comme la grand'place et les rues avoisinantes servent d'arène, les curieux s'écrasent dans le cimetière. A toutes les fenêtres se montrent les jolies paysannes de la contrée. Les vieillards n'ont garde de bouder une fête qui leur rappelle tant de belles années de galantes et intrépides prouesses; il n'est pas jusqu'aux invalides et aux impotents qui ne se soient fait trimbaler pour la circonstance, souvent d'une distance de plusieurs lieues, jusqu'au théâtre de ces épiques gageures. Et en attendant pour y participer qu'ils aient atteint l'adolescence, les gamins affriolés s'accrochent comme des grappes de fruits fabuleux dans les ormes de la place. D'autres chevauchent les murs des jardins ; il y en a dont les têtes joufflues s'encadrent dans la lucarne du grenier; il s'en est aligné, tout le long dela bordure des toits, les jambes ballant dans le vide; mais le plus téméraire est celui qui, narguant les vertiges, au risque de se casser le cou, est grimpé le long de la tour pour affourcher le coq doré. Au balcon du Grand Cygne, la principale hôtellerie du bourg, la mieux située pour jouir du spectacle, s'installe la blonde Isa, l'unique héritière du richissime fermier Borlinck, de Luttérath. Avant qu'il fût marié et qu'il eût pris du ventre, Borlinck régna long