Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/337

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—329— nant l'eau claire et pure du tumulte de leurs corps qui s'amassaient par places en informes bancs de chair. Il y en avait qui se balançaient en poses grimaçantes aux trapèzes et aux anneaux et du tremplin au déclic brutal des corps s'enlevaient en para bole pour un plat-ventre éclatant dans un rejaillissement de cris et de rires. — Regarde ça, dit Christian, c'est la cage aux singes blancs. — On dirait des sauvages qui dansent autour d'un mort. Ils s'étaient assis à l'écart, écoutant les coups de talon sur la planche et le cliquetis des fleurets de la salle d'armes. Par les baies arquées des étuves du bain .turc donnant sur le bassin, on voyait, dans une pénombre, aller et venir, d'une allure lente, des hommes nus dont on n'entendait pas les voix, et l'imagination de Christian se plaisait à leur prêter une expression haute, une attitude fière. — Les beaux fantômes de chair! Ne dirait-on pas que ce sont de pieux ser vants de la vie, soucieux de leur corps et de leur âme, qui accomplissent le rituel physique d'une religion, l'esprit aux écoutes des sensations intenses qui fécondent!... Il faut voir de près comme l'être se rabat et se ramasse sur ces corps en sueur pour comprendre à quoi ils emploieront leurs forces nouvelles et leur bien-être. Un petit, grelottant, le dos en arc, sortait de la salle de douche en se pinçant le nez de ses doigts gourds. — Vois comme ces gens se posent plastiquement; drape-les, si tu peux; le nu moderne n'existe pas. Autrefois un homme nu c'était « quelqu'un ». Aujourd'hui un homme nu peut être encore un animal, un mâle, mais assurément ce n'est plus personne. On habille tout, on farde tout : les pensées et les sentiments comme les corps. Le nu est devenu immoral et inesthétique depuis que l'âme s'accroche au porte-manteau des êtres parmi les tournures et les pardessus. Oh ! oh ! les animaux s'habillent et deviennent solennels ! dit-il au défilé de baigneurs dont tout à l'heure les grossièretés se confondaient et sympa thisaient et qui avaient repris, avec le vêtement, leur attitude sociale, leur dignité factice, leur air d'autorité ou de déférence... et quand ils furent passés : — Il y a quelque chose de plus monstrueux que la bête humaine, c'est la bête sociale! Henry Maubel