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Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/339

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—33i— III Ce que je choisirais pour te symboliser, Ce ne seraient ni lys, ni tournesols, ni roses, Ouvrant aux vents frôleurs leur corolle en baiser, Ni les grands nénuphars dont les pulpes moroses Et les larges yeux froids, chargés d'éternité, Bâillent sur l'étang clair leurs rêves immobiles. Ni le peuple des fleurs despotique et fouetté De colère et de vent sur les grèves hostiles ; Non — mais tout frémissants d'aurore et de soleil, Comme des jets de sang se confondant par gerbes, En pleine floraison, en plein faste vermeil, Ce serait un massif de dahlias superbes, Qui, dans l'automne en feu des jours voluptueux, Dans la maturité chaude de la matière, Comme de grands tétons rouges et monstrueux, Se raidiraient sous les mains d'or de la lumière. IV Les forts montent la vie ainsi qu'un escalier, Sans voir d'abord que les femmes sur leurs passages Tendent vers eux leurs seins, leur front et leurs visages Et leurs bras élargis en branches d'espalier. Ils sont les assoiffés de ciel, nocturne hallier, Où buissonnent des feux en de noirs paysages. Et si haut montent-ils, séduits par des présages, Qu'ils parviennent enfin au suprême palier. Ils y cueillent des fruits d'astres et de comètes; Puis descendent, lassés de gloire et de conquêtes, L'esprit déçu, les yeux ailleurs, les cœurs brûlés; Et regardant alors les femmes qui les guettent, Ils s'inclinent devant, à deux genoux, et mettent Entre leurs mains en or les grands mondes volés. 1885 Emile Verhaeren