Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/349

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-34i- «  feuillage de chêne : cependant, vous pouvez vous approcher du tableau et le scruter attentivement, le peintre n'a représenté en effet ni le contour ni la structure des feuilles de hêtre ou de chêne ; c'est dans notre esprit que se peint cette image, parce que le peintre l'a voulu. Ainsi le poète .... « Car, si vous êtes poète, vous commencerez par voir distinctement dans la chambre noire de votre cerveau tout ce que vous voulez montrer à votre auditeur, et en même temps que les visions se présenteront spontanément à votre esprit, les mots qui, placés à la fin des vers, auront le don d'évoquer ces mêmes visions pour vos auditeurs. Le reste ne sera plus qu'un travail de goût et de coordination, un travail d'art qui s'apprend par l'étude des maîtres et par la fréquentation assidue de leurs œuvres » (i). A notre système se rattache intimement la théorie de l'art pour l'art. Une thèse appartient toujours à la pensée discursive L'artiste qui veut faire de son art un instrument d'enseignement et qui asservit ses moyens esthétiques à ses intentions de plaideur, pèche contre l'essence de l'art. Il montre qu'il est plutôt un prédicateur qu'un véritable artiste. C'est par la connaissance discursive qu'il considère l'univers, non par la connaissance intuitive. Remarquons enfin combien juste et profonde est la théorie d'Edgar Poe, reprise en France par Baudelaire, qui recommande les poèmes courts. Ceux-ci quintessencient la pensée et le sentiment, leur donnent une expression plus précise, plus saisissante, plus définitive et n'accordent point de longues relâches à l'émotion. N'est-ce point là la forme qui con vient le mieux à la connaissance qui envisage les objets sub specie œternitatis? Jamais les artistes n'ont mieux senti que de nos jours les défauts du poème long. Victor Hugo, véritable génie épique, a réduit l'épopée aux dimensions des pièces de la Légende des Siècles. (Rappelons- nous que cet ouvrage fut d'abord annoncé sous ce titre : Petites Epopées.) On ne peut cependant ranger Victor Hugo au nombre des artistes qui ont quintessencié leur pensée : le fait n'en est que plus remarquable. IVVAN GlLKIN (1) Cf. ce passage d'une lettre de Wieland à Merck : « J'ai passe deux jours et demi sur une seule strophe et tout revenait au fond à un seul mot dont j'avais besoin et que je ne pouvais pas trouver. Je me creusais le cerveau, je tournais et retournais la chose en tous sens; car, puisqu'il s'agissait d'un tableau, je tenais naturellement à évoquer dans l'esprit du lecteur la même vision déterminée qui flottait devant mes yeux, et en cela, ut nosti, tout dépend souvent d'un seul trait, saillie ou reflet. » {Lettres à Merck, édit. Wagner, 1835, p. 193.) Evoquer... Susciter. . autant de mots qui indiquent un appel à la connaissance intuitive. 22