Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/366

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—358— piquant, à notre époque, d'une application dérivée de cette loi. Mais ici, à l'encontre de l'ordre habituel des choses, ce n'est pas en naïveté, en simplicité fruste, que se manifeste cette poésie, jaillie toute formée du cerveau d'une nation : elle apparaît tout de suite subtile et raffinée, compliquée d'expression et de pensée, maladive et violente, comme un enfant trop précoce, aux fantaisies, aux sensations de vieillard.

La plupart des poètes belges, en utilisant l'outil français, s'en servent pour exprimer des sensations à eux à travers une origina lité d'âme et de conception qui est bien leur patrimoine. Ce n'est plus la clarté unie, la mesure, le dosage parfait, les délicatesses, les grâces de l'esprit français, ni la finesse dans l'enluminure où s'altère si souvent le sens du coloris chez nous. Eux sont des coloristes ardents, ils subissent la prédesti nation d'être surtout des peintres. Leurs écoles littéraires se rattachent aux préoccu pations de leurs antérieures écoles d'art. Tels des leurs ont la fougue, la spontanéité, qui sont comme des transpositions des polychromies rutilantes de Rubens ou de Jordaens ; tels autres ont le charme fort, les harmonies reposées et solides de Van Dyck ; même dans le groupe de Van Lerberghe et de Maeterlinck, qui se plaît aux imagina- tious frêles, recherche les spiritualités déliées, c'est encore un souvenir d'art qui se lève, l'adorable et fleurie école bru- geoise, les musiques exquises des clave cins de Memling. Mais remarquez l'influence divergente des races; même chez ceux-là, pour ces esprits enclins au mysticisme, aux songe ries du mystère, la délicatesse n'est pas ce qu'elle est sous les doigts d'un Verlaine : elle insiste sur les nuances, garde une cha leur de ton, un relief qui accusent enco rela prédominance de l'élément peintre. L'idée, si abstraite soit-elle, se présente à eux vêtue de couleurs. Ils voient, ils pensent une autre langue que celle dont ils se servent, et c'est pourquoi, si souvent, ils nous déconcertent, nous apparaissent comme tra duits dans leurs manifestations les plus franches et les plus spontanées. Il y a là peut-être comme la formation embryon naire d'un langage idiotique, nettement par- ticulariste, analogue en certains points, par rapport à nous, à ce que le grec moderne est pour le grec ancien.

Le mouvement, d'ailleurs, suit dans ses manifestations les grandes subdivisions des lettres françaises. Son initiateur, Camille Lemonnier, décèle en ses premiers livres les truculences du romantisme; il ne fait que passer par cette école, mais elle laisse son sillon dans l'ensemble. Plus tard, quand les poètes tenteront de se réunir en un groupe collectif, ils appelleront ce groupe le Parnasse de la jeune Belgique. Ce ne sont point des parnassiens cependant; ils conservent pleinement leur idiosyncrasie d'art et leur âme si particulière, mais l'in fluence subsiste. Les premiers vers de Giraud ont la pétulance, l'acrobatie, le bruit de castagnettes de ceux de Banville ; Emile Van Arenbergh, dans les quelques sonnets qui constituent son œuvre, fait miroiter les joailleries d'un Hérédia ; Ro- denbach incline vers le Coppée des Inti mités. Dans ces derniers temps, quand l'es sai symboliste aura tenté en France son vague effort, c'est en Belgique qu'il se révélera et se continuera sous sa forme la plus sérieuse et la plus tangible.

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Le premier en date, c'est Th. Hannon, en ses Rimes dejoie, que J.-K. Huysmans signala jadis comme un volume d'exquise misère morale, de préciosité désolante et délicieuse, dans la Bibliothèque perverse de son desEsseintes. D'allures japonisantes, de forme délicate et mièvre, leur grâce est vicieuse, maquillée, avoue comme un fai- sandage d'âme d'un effet étrange et péné trant. Une âme évangélique et tendre, au con traire, se révèle chez Rodenbach, apparu à peu près vers le même temps. On a remar qué que les premiers poètes du mouvement sortirent de YAima Mater de Louvain, la grande Université catholique, où récem ment M. de Mun alla porter sa haute parole. . La poésie, sous cette influence, se chris