Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/367

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-359- tianisa avec Gilkin, Van Arenbergh, Wal- ler, Rodenbach. Celui-ci est un intimiste, un rêveur demeuré sous l'impression des sensations enfantines; il vit encore dans l'atmosphère ogivale, liliale, pascale des premières communions, dans l'ardeur des chapelles braisillantes de cierges, les flam mes blanches des cires ennuagées d'encens. Le Coffret, qui le fit connaître, donne bien la note mélancolique d'émotion douce et familiale de ses premiers livres. Il est bien un Flamand, son art est bien caractérisé par ces tendances rêveuses venues d'Alle magne, rehaussées de ces tons gras et solides qui donnent un corps aux plus nuageuses conceptions — mélange qui est bien dans le tempérament national — mais il est francisé; son vers, sa syntaxe sont d'un Latin. C'est un barbare, au contraire, qui apparaît dans Verhaeren, le plus origi nal, le plus particulariste et le plus grand peut-être de toute la pléiade. La moustache blonde et tombante, les yeux bleus, d'une douceur rêveuse et cruelle, tels durent apparaître aux Romains de la décadence les premiers guerriers roux qui allaient leur ravir le monde; tels, aux grammairiens, aux rhéteurs, aux ali- gneurs de phrases mathématiques durent se manifester les chants rauques des nou veaux venus, leur parler rocailleux, aux formes brusques, coupées, laissant entre voir des infinis d'idées sous des écroule ments de brumes. Malgré son verbe français, il est bien un Septentrional; sa rythmique, le mode de sa pensée, ses idiotismes sont d'un vieux Ger main, mais visionné de modernisme énorme : le fer, les gigantesques ferronneries des ports, des digues, des ponts métalliques traversant les brouillards le hantent; des quais s'allongent, des départs de steam- boats trépident, des crachements de fu mée se déroulent dans ses vers. Avec cela une sympathie pour les carnages, les tueries rouges, pour la mort blême et cavalcadante; son spleen anglais s'accuse de plus en plus, accru par sa préoccupation des paysages londonniens, obscurci par les vapeurs noi res des fantastiques Tamises. Et pourtant, fidèle à sa race, ses premiers regards furent sollicités par les grasses kermesses, les frat ries à la Teniers. Un volume de vers, Les Flamandes, date de cette période de son talent; mais bientôt il se septentrionalise : les Flambeaux noirs, les Apparus dans mes chemins, son prochain livre, encore innom mé, sont, à ce point de vue, significatifs. Presque à la même époque débutent Gil kin, Albert Giraud, Van Arenbergh. Gil kin est un nostalgiquequ'étreint fébrilement l'idée du mal : d'où un macabrisme à la Baudelaire II affectionne les venins, se dé lecte à savourer leurs mortelles pharmaco pées, à manier des joailleries noires, à faire luire de rouges métaux; les occultistes le rangeraient parmi les Saturniens. Sa forme, très pure, le met un peu à part; il est, par excellence, le type d'expression française du mouvement. Van Arenbergh et Albert Giraud cadencèrent tous deux de larges métaphores à la Hérédia, adoptant son rythme fastueux, sa strophe résonnante et nombreuse, mais en y mêlant, le premier, une singulière intensité de sentiment reli gieux, le second, Giraud, une imagination plus païenne et plus galante : celui-ci est un Watteau, mais qui a passé par le Paris du xix« siècle; il procède par petits tableaux d'une grâce enlevée, colorée, avec une mé lancolie verveuse et pailletée d'un charme extrême. Son récent volume, Les Dernières Fêtes, apparaît comme l'œuvre d'un enlumi neur patient de missel. Ce groupe a conservé le respect de la forme ; son vers régulier, aux suspensions normales, aux rimes observées, est plein, solide, harmonieux; ceux qui les suivent, au contraire, renoncent résolument aux mo des parnassiens; avec eux, le vers se rompt, brise les formes anciennes du mètre, de vient souple, flottant, a les incertitudes et les vagues de la musique. Ceux-là viennent de Gand, la ville aux grands canaux, aux eaux figées; c'est elle dont le charme gris façonne Maeterlinck et Van Lerberghe, ces mystiques, qu'une fraternité de cerveaux, fortifiée d'une belle et rare amitié d'homme unit en des œuvres distinctes, mais corres pondantes. Plus encore que la poésie, c'est le théâtre qui donnera la synthèse de ces esprits étranges d'un art si haut, si considé