Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/368

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-36o— rable. Notre cadre trop étroit nous interdit d'en aborder ici l'étude, mais les Serres chaudes de Maeterlinck, des poèmesde Van Lerberghe épars à travers les feuillets des revues suffisent à les classer au premier rang parmi les poètes de leur pays; il faut leur adjoindre Grégoire Le Roy, moins cé lèbre, mais dont le talent archaïque, d'une tristesse fine, mérite d'être signalé. En Georges Khnopff, le frère du peintre, se révèle un disciple immédiat de Verlaine, avec des candeurs, des fraîcheurs dans les nuances qui rappellent le Lélio des Fêtes galantes et celui de Sagesse. Il a produit peu et s'est tourné depuis vers la musique. Car, peu à peu, à mesure qu'ils se particularisent, leur art évolue vers la musique ; chez Albert Mockcl la préoccupation musicale est telle qu'il a cru devoir, en son livre Chantefable un peu naïve, noter en tête le thème sym- phonique sur lequel il le jugeai développé. Aussi le mièvre, le frêle, le nuancé, se fondent-ils dans son œuvre en tons vagues, indécis, pleins de charme et d'onction. Il est nettement symboliste. Plus récent encore, un modulateur analogue de la nuance est Georges Elskamp, avec un chiffonné, un tortillé de la forme souvent un peu bien vagues et pénibles pour nous autres Latins. A part, au milieude ces groupes, un raci- nien, Fernand Séverin; A. Fontainas et Va- lère Gillc jouant de petits airs jolis, modu lés délicatement; Fernand Roussel, dont le dernier livre, Le Jardin de l'âme, est d'un grand charme; sa tristesse discrète et rési gnée, la désespérance voilée, l'inacdimata- tion de cette âme en notre époque sont ex primées avec une dignité sobre, une pointe de hauteur qui sont pour plaire. Livre cal me et las qui promet un large avenir. A citer encore Ad. Frères, Gérardy, Delche- vallerie, Léon Donnay, qui, dans Sérénité, révèle un sentiment intense et profond, al lant parfois jusqu'au tragique, de la moder nité; ses vers ont l'air de courtes maximes accotées les unes aux autres, sans rythme, sans rime, sans césure apparentes; ils don nent cependant une impression de poésie rès haute. En somme, le mouvement dont nous avons tenté d'esquisser ici en raccourci l'historique et le caractère est symptomati- que d'une impulsion d'esprit singulièrement neuve et robuste. Les Flandres, ces Mar ches françaises tant que dura la domination des princes bourguignons, n'ont durant ctte période d'autres épanouissements d'art que leurs admirables écoles de peinture; plus tard, après l'épopée révolutionnaire de la lutte contre l'Espagne, pendant la sou mission indocile à la maison d'Autriche, un grand silence s'étend sur les dix-sept pro vinces; elles agglomèrent lentement leur sen timent unitaire, transforment leur patrio tisme de clocher, l'élèvent, tendent à se for mer en nationalité. Mais cette nationalité ne possède pas ce qui constitue la personnalité d'un peuple, une langue particulière; elle se débat à travers les « localismes », le fla mand, ce patois tudesque, le wallon ou le rouchi, ce jargon français. C'est dès 183o, la séparation d'avec les Pays-Bas obligeant le nouveau peuple belge à affirmer par tous les moyens sa nationa lité, que les intelligences se mettent à tra vailler, dans le calme enfin conquis, que les caractères se fondent et se pénètrent. Le ré sultat de cette sorte de gestation ne tarde pas à se faire sentir; aux styles officiels, aux lourds écrivains, le style audacieux, libre, effréné, les prosateurs et les poètes de 187o succèdent. Tous ont à leur disposition cette langue la plus souple du monde, le fran çais, ils en usent, mais on sent en même temps leur impatience de cet instrument, leur recherche hésitante encore d'un idio me nouveau, qui s'adapte à leur caractère et à leur tempérament. Cette recherche sera-t-elle utile ? Réussi ront-ils à constituer une langue nouvelle dérivée d'une autre encore vivante? C'est ce qu'il est impossible de prévoir aujourd'hui. Précurseurs belges ou novateurs français, ils n'en auront pas moins apporté dans la littérature une note nouvelle et quelques œuvres de tout premier ordre. F. de Nion. Nous remercions bien chaleureusement M. de Nion, d'autant plus qu'à l'heure pré sente il n'est peut-être pas très aisé, en France, de se montrer sympathique aux Belges.