Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/371

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

—363— M. François de Nion se trompe lorsqu'à la fin de son étude il se demande si les écrivains français de Belgique travaillent à l'éclosion d'une langue mixte. Telle n'a jamais été, telle n'est pas, et telle ne sera jamais notre ambition. Cet idiome mixte, d'ailleurs, n'est pas à créer. Il existait chez nous, il existe encore : c'est l'abominable jargon que nous dénoncions plus haut, c'est le jargon belge, ce jargon des Hymans, des Juste, des Potvin, des Leclercq et des Van Keymeulen, ce jargon que nous avons combattu naguère, que nous avons à demi extirpé, mais qui repousse et que, pen dant longtemps encore, nos successeurs devront combattre à leur tour. Nous sommes donc des écrivains français, et nos œuvres se attachent au mouvement littéraire français de la même manière que les œuvres fran çaises écrites par des artistes d'origine bretonne, normande ou provençale. Les écrivains de souche bretonne, normande ou provençale ont leur accent particulier; nous croyons que les écrivains de Belgique ont aussi le leur. Pourquoi ces derniers, qui sont nés à Bruxelles, à Gand ou à Liège, ne seraient-ils pas des écrivains de langue française au même titre que les écri vains nés à Paimpol, à Rouen ou à Marseille ? La querelle que nous cherche M. Verbeek est la même que les félibres cherchent aux écrivains français du Midi. Elle est puérile et absurde, car les œuvres de Charles De Coster et de M. Georges Eekhoud, pour être écrites en français, expriment l'âme flamande au moins avec la même intensité que les poèmes flamands d'un Van Beers, et semblablement les savoureux récits français de M. Arène expriment l'âme provençale au moins avec autant de bonheur que le tu-tu-pan-pan des tambourinaires à la Jasmin. Ou, si l'on veut une autre comparaison, nous sommes des écrivains français au même titre que les écrivains des Etats-Unis sont des écrivains anglais. Peut-être M. Verbeek nous demandera-t-il pourquoi nous avons préféré la langue française à la langue flamande, ou plutôt à la langue néerlandaise, — car il n'y a pas de langue flamande. Nous aurions le droit de ne pas répondre. Nous le ferons cependant. Nous avons choisi la langue de nos voisins du Midi, plutôt que la langue de nos voisins du Nord, — les uns, parce que nous connaissions bien la première et mal la seconde ; — les autres, parce qu'à leur avis ce qui fut la civilisation flamande n'a plus ni foyer ni force d'expansion. Est-ce clair? Les félibres flamands auraient d'ailleurs tort de nous en vouloir. Si, au bout de trois ou quatre lustres de production littéraire, nos écrivains de la Jeune Belgique ont attiré l'attention du public français, il leur eût été plus facile, assurément, de briller dans le cercle modeste et restreint d'une