Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/405

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—397- tremble de volupté — encore à l'heure qu'il est, au moment où je retrace mon rêve. — J'allais en me promenant le long d"un grand chemin, — non pas lentement, mais d'un pas rapide, — car la contrée était morne tout alentour, — morne et prosaïque... — Toutefois, les habitants de cette contrée — étaient plus prosaïques encore... — Sur leur visage une placidité absolue, — aucun signe d'une passion quelconque. — J'avançais donc, en pressant le pas, — pour avoir derrière moi aussi vite que possible — cette fâcheuse contrée — et ces gens plus fâcheux encore. — J'arrivai enfin devant une muraille — dont les portes étaient de diamant, et sur elles je vis tracée, — en lettres d'arc-en-ciel, — l'inscription suivante : — « Le Royaume de l'Amour » . — Assoiffé de désir, — j'en ouvris la porte et y entrai. — Que vis-je là ? C'était un aspect d'une beauté céleste ! — Le plus beau site était étendu devant mes yeux, — beau, comme l'imagination artistique — des peintres et des poètes — est seule capable de se le créer. — C'était peut-être l'ancien paradis : — une vallée florissante et spacieuse — ornée de mille fleurs, où les rosiers — étaient grands et élevés comme ailleurs les chênes, — et par le milieu de cette merveilleuse vallée cou lait un fleuve — dont les flots revenaient sur leurs pas — se dirigeant vers les lieux qu'ils avaient quittés, — et ils semblaient ainsi être remplis de douleur de devoir s'en aller de là pour jamais. — L'horizon de cette vallée était borné — par des rochers pleins d'un charme romantique, — sur les sommets desquels — flottaient des nuages comme des boucles d'or. — Saisi d'admiration, je contemplais ce pays inconnu, — ayant même oublié de fermer la porte derrière moi. — Je restai de la sorte longtemps au seuil de ce pays, — jusqu'à ce qu'enfin, sans que je m'en aperçusse, — le charme de la contrée m'attira vers elle. — Je marchais sur des tapis de fleurs, — et autour de moi se promenaient des jeunes gens — la tête penchée en avant — comme s'ils cherchaient des aiguilles sur le sol — Curieux, je leur demandai — ce qu'ils cherchaient avec tant d'attention, — et l'un me répondit : « Une plante vénéneuse ». — « Une plante vénéneuse ! et pourquoi faire? » — « Pour en extraire le suc et le boire » Effrayé, je m'enfuis, — et tout harassé de fatigue, — j'atteignis un rosier géant; — là je m'assis pour me reposer... — O terreur! qu'est-ce qui se balance là, au-dessus de ma tête? — Ha ! un adolescent pendu ! — Je courus vers un autre arbre, — puis vers un troisième, vers un quatrième encore, — et toujours, et tou jours plus loin, — mais nulle part je ne pus trouver le repos cherché, — car aux branches de tous ces arbres étaient pendus des hommes. — De l'autre côté, pensai-je, de l'autre côté du fleuve — habite à coup sûr l'amour heureux. — Je courus vers le fleuve, — m'assis dans une barque, ramant