Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/414

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LA MONPARONNE algré sa misère allant à pieds déchaux, malgré sa casaque amadou et son gadin plus rapiécé qu'une maronne de grand- père, la Monparonne, la pauvre herdeuse, avait été en sa jeunesse plus recherchée par les gars du pays que maintes et maintes grand'diveuses toutes chargées d'affiquets et aguinchées, pour qu'on les ravise au passage, comme des notre-dame le jour de l'Assomp tion. Non pas qu'elle fût belle alors, mais sa face, tavelée comme une miche de pain d'orge, était bonne à reluquer sous la halette à fleurs cerclée de baleines ; ses yeux, à travers sa tignasse blonde retombant en brous sailles, luisaient très doux, ainsi que les bluets parmi les champs de mois sons pâles, dont la pousse est chétive sous la terre brehaigne d'Ardenne. Et elle était d'allures dégagées, plus délurée qu'une citadine, avec des inflexions gracieuses de la tête, pareilles à celles des peupliers de la grand'route, sous la brise. Puis, en sa compagnie, on avait toujours du contentement tout plein soi, de l'allégresse en abondance, comme en un jour de ducasse, quand la gaîté est en branle sur l'esplanade. N'était-ce pas justice, dès lors, que les amoureux lui affluassent plus nombreux que les gratte-culs roses aux haies d'avril ? Avec les mijaurées comment s'y prendre pour attraper une miette de plaisir? Que tenter pour faire s'épanouir un peu les heures, avec des renchéries pareilles ? Elles sont plus escarpées, plus inaccessibles que la montée aux bois Gillot. Elles sont plus rancies que des guirlandes d'andouillettes, qu'un compère avaricieux laisserait un trop long temps appendues aux lambourdes de sa cuisine. Plutôt que de leur faire un pouce de cour, il vaux mieux, bien sûr, pour tuer l'ennui, biberonner un sou de tabac en regardant, aux carreaux, les belles levées de porettes et de cabus, dans le jardin, ou en supputant au lointain les moissons prochaines. Avec la Monparonne, au contraire, l'on pouvait s'en abreuver, je vous affie, de joies vives comme de bonnes lampées de vin clair, car elle était avenante et affable, ayant un chaud parler, agrémenté d'expressions pitto resques, tout pétaradant de gaudrioles. Les après-midi d'été, lorsqu'elle s'en venait cueillir les troupeaux à con duire à la pâture, c'était par le village comme un réveil des êtres et des choses. Sa voix chantait en modulations joyeuses : « Ohé! les gens, lâchez vos gades, lâchez vos porcelets, ohé ! » Sa corne lançait à la volée, déchi rant l'air torpide, de vibrantes et claires trompettées. Et, par la vertu de