Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/419

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—4M— cœurs étaient contraints et malaisés. Une vague tristesse planait. On la laissait aller son dur chemin — quelques curieux la ravisant seulement — courbant l'échine derrière ses troupeaux, telle une sabotière hagnant vers les montées ! (A suivre.) SULLY HUNTLEY CHRONIQUE LITTÉRAIRE i ALFRED TENNYSON e glorieux vieillard qui vient de s'éteindre doucement au châ teau d'Aldworth près d'Hastemere, me semble avoir eu l'une des plus belles existences que puissent rêver et souhaiter les artistes ses semblables. Doué par Dieu du don de poésie, assez fortuné pour ne voir les événements de ce monde qu'à travers les jardins fleuris abritant son heureuse retraite de Wright, assuré de son vivant de l'admiration des plus grands artistes de son pays et de son temps, entouré du respect de tout un peuple pour les beaux vers qu'il lui avait donnés et pour les honneurs qu'une royauté bien conseillée lui avait décernés, Ten nyson a pu vouer toute sa vie au culte et à la recherche constante de la Beauté pure. Et ses conceptions poétiques furent toujours empreintes de tant de grâce, de fierté et d'élévation, qu'il mérite bien l'éloge que fait de lui le plus parfait des poètes contemporains dans sa célèbre Etude du principe poétique : « Pour Alfred Tennyson », dit Poe, « je le tiens pour le plus noble poète « qui ait jamais vécu. Je l'appelle et le crois le plus noble des poètes, non « pas parce que les impressions qu'il produit sont toujours les plus pro- « fondes, non pas parce que l'émotion poétique qu'il cause est toujours la a plus intense, mais parce que sa poésie est toujours la plus éthérée, en « d'autres termes, la plus élevée et la plus pure. » Un pareil éloge venant d'un poète tel qu'Edgard-Allan Poe se passe de com mentaires et serait bien, me semble-t-il, pour faire réfléchir ceux qui, ayant peu lu ou mal lu Tennyson, ne prétendent voir en lui qu'un poète officiel, suivant leur expression. Poe ne connaissait pourtant qu'une partie de l'œuvre de Tennyson, Poèmes lyriques, qu'il avait publiés en premier lieu, et cet exquis poème de la Princesse, qui consacra sa réputation. D'autres œuvres vinrent après qui n'excitèrent pas moins d'admiration : Maud, moins bien ordonnancée encore que la Pri?icesse, mais qui contient en revanche les vers les plus frais, les plus jeunes et les plus mélodieux que Tennyson ait écrits; puis vinrent le pieux poème In Memoriam, consacré à son cher ami