—62— autres : « Vous êtes des hommes ! » Comme on le dit aux enfants pour qu'ils deviennent des hommes. Ils ont cru que c'était vrai et ce sont mis à faire des grimaces de spiritualité. On a monté trop tôt sur leur petit théâtre, l'Art, la Religion, le Droit, la Science, et leurs aspirations trop débiles pour atteindre à l'esprit de ces choses se sont atrophiées. Il fallait les laisser jouer et leur raconter des histoires naïves pour dessiller leurs yeux et atten drir leur âme. Il fallait leur apprendre à voir et à sentir, leur apprendre à ignorer, à douter, à craindre. Qu'on refasse bien vite de l'enfance et qu'on rallume par les groupes d'hommes ces foyers de tendresse qui empêchent les âmes de se durcir à mi-chemin. Tous les hommes sont masqués aujourd'hui, grimés, travestis. Combien en vois-tu dont les gestes ne déguisent pas la peur, dans cette mêlée de vivants et de morts, où les morts font tant de bruit, remuent tant d'obscu rité, que les vivants parmi eux sont forcés de s'envelopper de silence et de marcher à tâtons?... Quand on dit que la société moderne est une dégénérée du christianisme, on veut dire qu'elle est retombée de son idéal avant de l'avoir atteint, car le règne du Christ, le règne de l'homme-enfant est encore à venir. Sans doute depuis des siècles de ce qu'on appelle comiquement l'ère chrétienne, les plus hauts peuples en ont subi l'influence. Mais ces formes morales qu'ils ont transportées d'étape en étape sans jamais les remplir se sont tellement desséchées et recroquevillées faute de substance, qu'elles ne sont plus que le débris déformé de la pensée mère. Le fruit n'a pas repoussé. Il ne reste que l'écorce. La morale d'aujourd'hui est un décor de paravent. La société qu'elle abrite des rhumes, ne voit que l'accidentel, oubliant que le fait n'est déjà qu'une conséquence, un entour de la vie. Cette société de droit écrit a tué la vie à force de l'ordonner. Elle l'a garée dans un camp retranché de systèmes; elle l'a cachée dans on ne sait quelle étroite forteresse de philo sophie sociale, où cette vie jaunit et se momifie doucement, devenant quelque chose de parcheminé qui parle encore mais ne pense plus guère. Elle refait conventionnellement des gestes naturels, mais elle les refait mal, les ayant mal compris. Elle parle une langue qu'elle n'entend pas; sa voix n'est plus qu'un écho, elle-même n'étant plus qu'une ombre et le matérialisme s'est mis en elle comme les vers dans un cadavre. Vois ce pays nouveau-né, ridé de politiquaille, dont les citoyens à quinze ans font de l'économie sociale et manifestent un esprit cracheur pour les poètes. Aucun pays qui soit comme celui-ci champignonné de parlementa
