Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/69

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—6i— d'un monde où les hommes s'entrechoquent en faisant crier de la matière, c'est qu'elles ne s'y entendaient pas vivre. Elles ne pourraient se détacher tout à fait de ce qui s'attache à elles. Nous avons les pieds dans la terre et nous sommes les rameaux d'un corps multiple ; çà et là des tiges dépassent le champ de floraison portant des têtes de fleurs qui s'isolent; si elles étaient séparées du tronc, ces tiges se dessécheraient et leurs fleurs de spiritualité se faneraient. C'est pourquoi il faut que nous descendions au fond de cette société pour en dégager la vie qu'elle étouffe. Nous ne pouvons la combattre que par elle-même, car nous en participons. Nous portons tous le vêtement social et cela est nécessaire pour que le vêtement ne nous porte pas. Faisons donc nôtre ce vêtement afin de le modeler à notre personnalité, afin de lui rendre sa signification et sa valeur humaine. Créons de la substance et les clichés tomberont. Puisque nous ne pouvons empêcher cette société de matière de figer l'être en ses formes, tâchons que ces formes s'animent, qu'elles rouvrent aux dépaysés les yeux et la pensée en leur rappelant, comme une promesse de renaissance, leurs origines de -vie. Le rappel des origines, les hommes en ont besoin, pour retrouver une direction, car ils ont terriblement dévié de leur destinée et ils demeurent trop en deçà des points que leur assigne notre conception de l'humanité. C'est la faute de la civilisation. Chaque fois qu'une course en avant distance à nouveau les hommes, selon la nature, les gendarmes de la civilisation se font un cordo de leu rsfusils mis bout à bout et refoulent la troupe à l'alignement du troupeau. Depuis un siècle, cette civilisation, impatiente de répéter un mouvement nouveau, a trop tassé, trop égalisé, trop ratissé pour ne pas troubler les plantes dans leur croissance, de sorte que la marche à l'êtrejest en atonie, en dépression, en recul. La masse des têtes s'arriére à des lieues de temps de quelques têtes épargnées qui ont accompli seules le trajet et par lesquelles le plant se maintient en communication avec Dieu, par lesquelles la vie se conserve. Des soirs tristes on les voit qui tantôt se dressent chargés de prières, tantôt, faisant ployer de compassion leur longue tige, se courbent vers le champ où les têtes basses se frôlent, frissonnent et chuchotent. C'est d'elles seules que le champ tire son aspect d'humanité ; ce n'est pas prendre trop haut la norme que la prendre à leur taille, car elles demeurent bien souffrantes, bien défaillantes; elles sont où le plus grand nombre devrait être. On a dit aux