Page:La Landelle - Le Dernier des flibustiers, Haton, 1884.djvu/19

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gée, par mon père, de vous offrir, comme un cordial salutaire, ce flacon de Tokay.

— Quelle folie ! s’écria l’intendante qui voulut renvoyer le domestique.

— Pardon, dit Vasili, M. le comte est un peu médecin.

— Qu’en pensez-vous, Monsieur ? demandait Salomée en souriant.

— Offert par vous, Mademoiselle, dit Béniowski, ce vin doit être pour moi l’élixir souverain.

— Je le verserai donc à votre santé, dit la jeune fille.

— Et moi, je le boirai à votre bonheur !

Il en est des inflexions de voix, des gestes et des regards comme des lettres de l’alphabet, dont l’assemblage peut produire un nombre infini de pensées différentes. La réponse de Béniowski aurait pu n’être qu’une formule de politesse, elle fut faite de manière à redoubler le trouble de la jeune châtelaine, qui, n’étant pas seule dans la chambre du malade, ne craignit point de prolonger sa visite.

Béniowski, comme on le sait, devait son mal à une irritation péniblement réprimée. Son inutile tentative à la cour de Vienne, les injustices dont il avait à se plaindre, la conduite de plus en plus odieuse de ses beaux-frères et de ses propres sœurs, avaient allumé dans ses veines le feu d’une violente colère. À la vue de la jeune Salomée qui levait sur lui ses grands yeux noirs, emplis d’une pieuse bienveillance :

— Haïr, c’est souffrir ! murmura-t-il ; oublier, pardonner, aimer, c’est guérir, c’est être sauvé !… Nous avons en Lithuanie, un beau chant populaire, je dirais presque un cantique, qui exprime ces idées avec la simplicité pénétrante de la poésie vraie, de la poésie du cœur.

— Je crains, monsieur le comte, dit la jeune fille en se levant, que vous ne vous fatiguiez.