Page:La Landelle - Le Dernier des flibustiers, Haton, 1884.djvu/78

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Ensuite, il regarda bravement la mer qui se gonflait et remontait vers le navire comme pour le dévorer.

Béniowski se tenait fortement au pied du mât d’artimon, réduit à la hauteur d’un poteau.

— Richard ! Aphanasie ! murmura-t-il, que Dieu vous garde !… Et puissiez-vous être un jour réunis à ma femme et à mon jeune fils que je n’aurai jamais connu !

Désespérant de son propre salut, ce fut pour Aphanasie et Richard qu’il adressa au ciel son ardente prière.

Sept lames passèrent encore ; la septième emporta les canons et la moitié des hommes. Sur le pont comme dans les flancs du navire brisé, le chaos avait duré près de dix minutes.

Puis, la mer redescendit, laissant à sec, non-seulement les deux principales parties du bâtiment, et tout le banc des récifs, mais encore, autour de la chaîne d’écueils, un assez grand espace de sable fin couvert de coquillages.

— Non ! sandious-cadédious ! s’écria le chevalier Vincent dès qu’il put rouvrir la bouche, non, le proverbe des flibustiers n’a pas encore tout à fait menti.

Une corde dormante à la ceinture, il s’approcha de Béniowski pour lui crier à l’oreille :

— La marée baisse, mon général, et baisse furieusement à ce qu’il paraît.

Il parlait encore quand revint une lame unique dont l’effet fut épouvantable.

La marée baissait bien réellement et baissait avec une rapidité inconnue en tout autre parage. L’immense vague qui se brisa sur le banc, ne remonta donc plus jusqu’au niveau du pont, mais elle prit l’arrière par la carène, le souleva et, en se retirant, le laissa retomber sur les rocs où il acheva de se fracasser. Les membres désunis, les bordages disjoints, les ponts