Page:La Landelle - Le Dernier des flibustiers, Haton, 1884.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Drôle de campagne, tout de même ! disait Sans-Quartier à son camarade Jambe-d’Argent. Vent de bout ! vent de travers ! vent arrière ! banquises ! typhons ! tremblements ! les anciens flibustiers n’étaient que de la piquette en comparaison de nous ! Avery, England, le major Penner, Jean Martel, tous ces fameux pirates qui ont été rois en Madagascar ou ailleurs avant notre capitaine, ont-ils jamais eu le quart de nos chances ! Jolie ration de doublons d’Espagne !… belle pesée de quadruples !

Jambe-d’Argent, qui avait mis en ceinture sa ration de doublons d’or, comme disait son camarade, était beaucoup moins enthousiasmé.

— J’ai su dans mon jeune temps un vieux proverbe dont la souvenance m’est revenue plus de quatre fois, et plus de cent fois aussi, depuis le Sanglier-Batave, que le diable étrangle avec sa choucroute de capitaine kaiserlique et le brigand de Stéphanof par dessus le marché !…

— Si le diable ne fait que les étrangler, dit Sans-Quartier, il sera bon enfant !… Moi, je les ficellerais comme une carotte de tabac, et j’en râperais un peu tous les matins à perpétuité pour ménager le plaisir. Voyons ton proverbe.

— Tant va la cruche au vin… Qu’à la fin elle se vide !… Ou qu’elle se casse ! tonnerre d’enfer ! voilà le pire !

— Baste ! fit Sans-Quartier.

— Merci ! dit Jambe-d’Argent ; vrai comme je suis natif de Lille ou approchant, je donnerais la moitié de mes piastres pour me savoir calme et tranquille dans mon pays !

— Que ton pays soit agréable, je ne dis pas non ! Étant à Dunkerque en garnison, j’y ai trouvé du charme… Il pleut tant que, pour ménager son fourniment, le soldat ne sort pas de la cantine. J’ai bu dans ce pays-là plus de bière qu’il n’y a d’eau salée autour de nous, et j’y ai fumé plus de tabac qu’il n’en