Page:La Lecture, magazine littéraire, série 3, tome 12, 1899.djvu/50

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pureté de son âme les amusait tout en les charmant, et ils faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pour la conserver intacte (ce qui n’était point une sinécure, pour des habitués du quartier Latin !…)

Ils l’aimaient pour son esprit avisé, ses drôleries naïves, et ils l’admiraient beaucoup plus qu’ils ne le lui avouaient, car ils reconnaissaient en lui une vivacité, une délicatesse, une finesse d’observation, une conception de l’esthétique, une sensation juste des beautés de la nature, et un pouvoir prodigieux à les reproduire, qui ne leur avait pas été accordé à eux-mêmes, et qui, comme ils l’admettaient sans basse envie, tenait du génie.

Quand un des membres qui forment le cercle de notre intimité est ainsi doué, selon les dispositions de notre caractère nous l’adorons ou nous le haïssons, en proportion de ses dons.

Cependant, Little Billee, comme tout le monde, avait ses défauts. Par exemple, il ne s’intéressait jamais aux tableaux des autres. Il ne semblait faire aucune attention au petit toréador joueur de guitare de Le Laird, ni à la dame à laquelle la sérénade s’adressait.

À vrai dire, quand les trois amis allaient au musée du Louvre, Little Billee traitait avec la même indifférence le Titien, Rembrandt, Vélasquez, Rubens, Véronèse, Léonard de Vinci.

Cette égalité dans le mépris pouvait à la rigueur consoler les deux autres.

Le jeune garçon étudiait plus les gens qui regardaient les tableaux que les tableaux eux-mêmes ; surtout les jeunes femmes artistes qui travaillaient là ; elles lui paraissaient toutes charmantes.

Little Billee après avoir repris la suite de la Ballade de la Bouillabaisse, se mit à faire de vagues projets d’avenir.

Un coup violent à la porte l’interrompit brusquement.

Deux hommes entrèrent.

Le premier un grand diable maigre, au type juif, auquel il eût été difficile de donner un âge exact, entre trente et quarante-cinq ans, portait un béret rouge, des vêtements sales et usés, recouverts d’un grand collet de velours attaché au cou par un fermoir en métal. Sur ses épaules tombaient des cheveux noirs, longs, mous et gras. Il avait des yeux sombres, hardis et brillants, ombrés de cils épais ; son visage creusé et tourmenté avait quelque chose de sinistre et disparaissait sous une barbe très foncée, sur laquelle