Page:La Lecture, magazine littéraire, série 3, tome 12, 1899.djvu/58

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— La hotte n’est pas assez haute, fit-elle remarquer. Comment le chiffonnier pourrait-il taper sa pique contre le bord et laisser tomber les chiffons dedans si elle était accrochée à mi-dos ? Et les sabots sont mal-faits, et la lanterne aussi, et tout le reste…

— Eh ! mon Dieu ! répliqua Taffy, qui était devenu très rouge, vous avez l’air de vous y entendre merveilleusement. Quel malheur que vous ne soyez pas peintre ?

— Allons bon, vous v’la fâché maintenant ! Y a pas d’quoi.

Elle se dirigea vers la porte, et jetant aux trois amis un dernier regard sympathique :

— Quelles belles dents vous avez tous les trois : c’est parce que vous êtes Anglais, bien sûr, et que vous les lavez deux fois par jour… Comme moi…

Puis faisant une révérence comique, elle ajouta :

— Trilby O’Ferral, 48, rue des Pousse-Cailloux ! pose pour l’ensemble, quand ça l’amuse ! Va-t-en ville, et fait tout ce qui concerne son état ! n’oubliez pas. « Thanks tous, et good bye ».

— En f’la une orichinale, dit Svengali.

Elle est délicieuse, — fit le jeune et tendre Little Billee. — Ciel ! quel pied !… c’est triste de penser qu’elle pose pour l’ensemble.

Cinq minutes après, Little Billee, avec la pointe d’un compas, traçait en blanc sur le mur rouge un trois quarts du pied gauche de Trilby qui était peut-être le plus parfait de ces deux poèmes.

Cette esquisse, bien que jetée à la hâte, rendait exactement la particularité de l’original, trahissait la forte impression éprouvée par l’artiste et était déjà le morceau d’un maître. C’était le pied de Trilby et non celui d’aucune autre, et Little Billee était le seul qui eût pu en rendre ainsi la ressemblance.

Qu’est-ce que c’est, Ben Bolt ? questionna Gecko.

À la demande de Taffy, Little Billee se mit au piano et commença à chanter en s’accompagnant. Il avait une jolie voix de baryton qu’il menait adroitement.

C’était uniquement pour jouir des talents de Liltle Billee qu’on avait fait venir de Londres le piano qui avait appartenu à la mère de Taffy.


(À suivre.)
Georges du Maurier.
(Traduction de Th. Batbedat.)