Page:La Madelène - Le comte Gaston de Raousset-Boulbon, sa vie et ses aventures, 1859.djvu/31

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et les fêtes de Venise aux hasards des batailles héroïques. La noblesse boudait le gouvernement de juillet, mais songeait bien plus à refaire sa fortune qu’à reconquérir une influence perdue. La jeunesse royaliste, énervée dans les bras des Laïs modernes, ne quittait guère leurs salons équivoques, élevait quelques chevaux anglais, et faisait, par ton, le pèlerinage de l’exil. Nulle part l’ardeur, nulle part la foi ; la bourgeoisie avait tout envahi, tout rétréci ; on citait encore quelques fous, mais en y regardant de près, il était facile de retrouver le calcul jusque dans les folies : l’esprit français était transformé.

Un court voyage que Gaston fit dans le Morbihan porta le dernier coup à ses illusions chevaleresques. Il vit de près ces Vendéens dont les mémoires et les romans royalistes lui avaient donné une si étrange idée. Malgré les dernières tentatives, la terre héroïque était sans murmures et rien ne restait des géants de 92. De temps en temps, il rencontrait quelques vieux capitaines de paroisse, légendes vivantes, fantômes d’autres temps, étrangers, en quelque sorte, dans leur pays même. Parfois aussi, il retrouvait au fond de leurs châtellenies en ruines, quelques gentilshommes fidèles, vivant en dehors du mouvement moderne et prêts à recommencer la guerre de buissons. Mais cette guerre même était devenue impossible. Il chercha en vain les chemins creux, les haies séculaires, les taillis impénétrables, immortalisés par les luttes de Cathelineau et de Bonchamp. Il revint à Paris par une route royale, désabusé, humilié presque, et de ce jour il commença à prêter l’oreille aux bruits nouveaux qui montaient du fond des foules.