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Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome premier, 1796.djvu/26

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Mais ſi la philoſophie eſt contraire aux conventions ſociales, aux principaux dogmes de la religion, aux mœurs, elle rompt les liens qui tiennent les hommes entr’eux ! Elle ſappe l’édifice de la politique par ſes fondemens !

Eſprit ſans profondeur, & ſans juſteſſe, quelle terreur panique vous effarouche ! Quel jugement précipité vous emporte au-delà, du but & de la vérité ! Si ceux qui tiennent les rênes des empires, ne réfléchiſſoient pas plus ſolidement, ô le bel honneur, & la brillante gloire qui leur en reviendroit ! La philoſophie priſe pour un poiſon dangereux, la philoſophie, ce ſolide pivot de l’éloquence, cette lymphe nourricière de la raiſon, ſeroit proſcrite de nos converſations, & de nos écrits ; impérieuſe & tyrannique reine, on n’oſeroit en prononcer même le nom, ſans craindre la Sibérie : & les philoſophes chaſſés & bannis, comme perturbateurs, auroient le même ſort qu’autrefois les prétendus médecins de Rome.

Non, erreur ſans-doute, non, la philoſophie ne rompt, ni ne peut rompre les chaînes de la ſociété. Le poiſon eſt dans les écrits des philoſophes, comme le bonheur dans les chanſons, ou comme l’eſprit dans les bergers de Fontenelle. On chante un bonheur imaginaire ; on donne aux bergers dans une églogue un eſprit qu’ils n’ont pas : on ſuppoſe dangereux ce qui eſt bien éloigné