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Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/156

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On peut être heureux, j’en conviens, en ne faîſant point ce qui donne des remords ; mais par-là on s’abſtient ſouvent de ce qui fait plaiſir, de ce que demande la nature, de ce qui la fait ſouffrir, ſi on eſt ſourd à ſa voix ; on s’abſtient de mille choſes qu’on ne peut s’empêcher de deſirer & d’aimer. Ce n’eſt ici qu’un bonheur d’enfant, fruit d’une éducation mal entendue, & d’une imagination préoccupée : au lieu qu’en ne ſe privant point de mille agrémens & de mille douceurs, qui, ſans faire tort à perſonne, font grand bien à ceux qui les goûtent ; ſachant que c’eſt pure puérilité de ſe repentir du plaiſir qu’on a eu, on aura le bonheur réel ou poſitif, félicité raiſonnable, qui ne ſera corrompue par aucuns remords.

Pour proſcrire ces perturbateurs du genre humain, il ſuffira de les expliquer. On verra qu’il eſt auſſi avantageux que facile de ſoulager la ſociété d’un fardeau qui l’opprime : que les vertus de ſon inſtitution ſuffiſent à ſon entretien, à ſa fureté & à ſon bonheur : qu’il n’y a qu’une vérité qu’il importe aux hommes de ſavoir ; vérité vis-à-vis de laquelle toutes les autres ne ſont que frivolités ou jeux d’eſprit plus ou moins difficiles. Dans ce ſyſtême fondé ſur la nature & la raiſon, le bonheur ſera pour les ignorans & pour les pauvres, comme pour les ſavans & les riches : il y en aura pour tous les états ; & qui plus eſt, ce qui va révolter les