Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/185

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autres hommes, combien de ſages & vertueuſes perſonnes, mal-à-propos tourmentées dans le ſein d’une vie innocemment douce & délicieuſe, ſecouant enfin le joug d’une éducation trop onéreuſe, n’auront plus de beaux jours ſans nuage, & feront ſuccéder un plaiſir délicieux à l’ennui qui les dévoroit !

Connoiſſons mieux l’empire de l’organiſation. Sans la crainte des loix, nul méchant ne ſeroit retenu. Les remords ſont inutiles (ou du moins ce qui les fait) avant le crime ; ils ne ſervent pas plus après, que pendant le crime. Le crime eſt fait quand ils paroiſſent : & il n’y a que ceux qui n’en ont pas beſoin, qui puiſſent en profiter. Le tourment des autres empêche rarement (si jamais) leur rechute.

Si le remords nuit aux bons & à la vertu, dont il corrompt les fruits, & qu’il ne puiſſe ſervir de frein à la méchanceté, il eſt donc au moins inutile au genre humain. Il ſurcharge des machines auſſi à plaindre que mal réglées, entraînées vers le mal, comme les bons vers le bien, & ayant déjà trop par conſéquent de la frayeur des loix, dont le filet néceſſaire les prendra tôt ou tard. Si je les ſoulage de ce fardeau de la vie, elles en ſeront moins malheureuſes & non plus impunies. En ſeront-elles plus méchantes ? Je ne le crois pas ; car puiſque le remords ne les rend pas meilleures, il n’eſt pas