Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/186

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dangereux pour la ſociété de les en délivrer. La bonne phîloſophie ſe déshonorerait en pure perte, en réaliſant des ſpeâctres qui n’effrayent que les plus honnêtes gens, tant eſt ſimple, au lieu d’être ferme, la probité ! Pour eux, c’eſt un bonheur de plus, qu’un malheur de moins. Félicitons ceux-ci, plaignons les autres, que rien ne peut contenir : la nature les a traités plus en marâtre qu’en mere. Pour être heureux, il faudrait qu’ils euſſent autant de philoſophie que de certitude d’impunité. Puiſque les remords ſont un vain remede à nos maux, qu’ils troublent même les eaux les plus claires, ſans clarifier les moins troubles, détruiſons-les donc ; qu’il n’y ait plus d’yvraie mêlée au bon grain de la vie, & que ce cruel poiſon ſoit chaſſé pour jamais. Ou je me trompe fort, ou cet antidote peut du moins le corriger. Nous ſommes donc en droit de conclure que, ſi les joies puiſées dans la nature & la raiſon, ſont des crimes, le bonheur des hommes efſ d’être criminels.

Heu ! miſeri, quorum gaudia crimen habent !

Telle eſt la nature réduite à elle-même & comme à ſon pur néceſſaire ; on croit lui faire beaucoup d’honneur, de vouloir la décorer d’une prétendue loi née avec elle, comme de tant d’autres idées acquiſes. Elle n’eſt point la dupe de cet hon-