Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/196

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dont le tempérament ſeul faiſoit la gaieté, indépendamment de toute littérature.

La nature a ſes droits ; on peut ſentir, & même on le doit, non en lâche, ou comme le vulgaire ; mais en homme de courage, ou en philoſophe animé par tant de beaux exemples. Comme tel, je me ſuis ſoumis-à l’adverſité, en qualité d’homme, je l’ai ſentie. Si le premier titre me fait honneur, le ſecond ne me fait point rougir, nihil humani à me alienum puto. Que la diſgrace revienne, dont me préſervent, non les dieux inutiles au monde, mais le plus grand des rois ; je la ſentirai encore, mais je la ſupporterai. Elle eſt le creuſet, ou l’accoucheuſe de la vertu, comme dit l’aimable auteur des lettres ſur les phyſionomies.

Mais n’en étoit-elle pas quelquefois la peſte, ou l’écueil ? Hélas ! dans quelles triſtes & déplorables extrêmités nous réduiſent la pauvreté, la miſere, la douleur, les fers ! L’horreur & le déſeſpoir marchent à leur ſuite ; l’ame avilie, ſans courage, n’a plus d’eſpoir, plus de prétentions qu’à la mort. Rarement la differe-t-elle, ſans ſe reprocher, ou ſa lâcheté, ou les préjugés qui la retiennent : regardant le néant comme un bien, parce que ſon être eſt un mal, elle ſe fait un devoir de s’y précipiter. Sans doute c’eſt violer la nature, que de la conſerver pour ſon propre tourment. J’ai vu les plus ſaints perſonnages, les plus fortes ames,