Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/203

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dans les ſervices que nous rendons. Il étoit bien juſte de trouver en ſoi un ſentiment qui nous dédommageât de l’ingratitude & nous fit oublier tant de gens qui n’en ont point.

Qu’eſt-ce donc que cette réputation qui fait tant de bruit dans le monde, après laquelle on court, dès qu’on ſait barbouiller du papier, & qu’on mépriſe autant, lorſqu’on ne peut l’atteindre, qu’on feint de la mépriſer lorſqu’on eſt célebre ? Quelle eſt cette trompette, qui plus puiſſante que celle de Mars & de Bellone, élevant notre courage & nous étourdiſſant ſur les dangers, nous appelle à combattre par les ſeules armes de la raiſon, des ennemis vainqueurs de la raiſon & des temps ? verba & voces, une vaine image, comme on l’a dit avant moi, un ſonge, l’ombre d’un ſonge, un écho, &c. Mais auſſi fous que les poëtes, & peut-être plus, les philoſophes métamorphoſent cet écho en nymphe, en nymphe charmante, que dis-je ? en impérieuſe divinité : & c’eſt ainſi que notre pauvre imagination ſe repaît, comme la leur, de belles chimeres. Vrais Ixions, prendrons-nous toujours la nue pour Junon ; le frivole pour futile ; ce qu’il y a de plus ſtérile pour ce qu’il y a de plus fécond ? Prendrons-nous toujours l’eſprit pour le ſentiment, & la vanité pour ce juſte amour-propre qui nous a été donné en partage ? Nous laiſſons, je le dis dans un ſens bien différent de Séneque, nous dédai-