Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/204

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gnons les plus grands biens, le plaiſir de jouir à longs traits de nous-même & des corps qui nous environnent, pour courir après des biens imaginaires, après des ſons & des douceurs, ſi l’on peut donner ce nom à ce qui eſt mêlé de tant d’amertumes.

Sommes-nous dans ce monde pour chercher & goûter la célébrité ou les plaiſirs de la vie ? Puiſque le haſard nous y a jetés, je ne dirai point au préjudice de tant d’autres que mille cauſes empêchent tous les jours de ſortir du néant, il paroît que le premier but, & le plus raiſonnable, eſt d’y vivre tranquille, à l’aiſe & content. C’eſt une choſe décidée, beaucoup mieux par la conduite de tous les hommes, que par toutes les opinions diverſes de ceux d’entr’eux qui ſe ſont érigés en précepteurs du genre-humain. Songer au corps avant que de ſonger à l’ame, c’eſt imiter la nature qui a fait l’un avant l’autre. Quel autre guide plus ſûr ! N’eſt-ce pas à-la-fois ſuivre l’inſtinct des hommes & des animaux ? Diſons plus & prêchons une doctrine que nous avons en l’honneur de ne pas ſuivre : il ne faut cultiver ſon ame que pour procurer plus de commodités à ſon corps ; peut-être ne faut-il écrire, comme tant d’auteurs, que pour attraper ou l’argent des libraires, ou une eſtime encore plus lucrative. S’il eſt des cauſes finales, celle-ci en eſt une, & des plus ſenſées ; l’amour de la vie & du