Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/211

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Pourſuivons notre chemin. Si le bonheur ne peut conſiſter dans la gloire qui ſuit les lettres, le mettra-t-on dans le plaiſir de les cultiver ? Je ne le crois pas. Je fais que l’étude affecte immédiatement notre ame, ou en ſatisfaiſant ſa curioſité, ou par le charme du goût, d’images agréables, & de mille ſentimens divers. Je ſais que penſer n’eſt qu’une manière de ſentir, qu un ſentiment en quelque forte replié ; & que par conſéquent vaquer aux lectures et aux méditations qui nous rient, penſer à des chofes qui plaiſent, c’eſt ſentir preſque ſans ceſſe agréablement. Telle eſt la volupté de l’eſprit, qui a excité dans fauteur de l’homme machine, tous ces tranſports ſi dignement adreſſés, & je ne fais pourquoi ſi mal reçus. Mais n’outrons rien ; il a fallu que l’homme fût non-ſeulement organiſé, mais préparé de loin & par degrés à recevoir l’impreſſion de cette volupté : nous n’en ſerions point ſuſceptibles, ſans l’éducation, dont la variété en met tant ici. Encore ne le ſommes-nous pas fort long-temps. Un arc ne peut toujours être tendu ; les cordes de violon détendues ne donnent plus de ſon fous l’archet : de même les muſcles de l’ame venant à ſe relâcher, le plaiſir diminue proportionnellement ; les yeux ſe fatiguent, quand les ligamens ciliaires qui approchent le cryſtallin de l’uvée, ſont las de ſe contracter. Voyez les nerfs les plus ſenſibles & les