Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/210

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erreur qui retombe ſur celui qui la commet, & qu’il faut lui pardonner, ſi elle eſt involontaire ; comment le plaindre, s’il y a de la méchanceté, s’il ne cherche qu’à nuire, uniquement pour nuire, & ſans qu’il en réſulte aucun bien ? Je ſuis une eſpece fort ſinguliere ; j’ai plus ri de l’ignorance & des bévues de mes antagoniſtes, que je ne me ſuis fâché de leur acharnement. Je traite tout de même. Le chagrin, l’adverſité, les maux, les petites mortifications de la vie ne m’atteignent point ou fort peu. On crie, on déclame, & je ris. Tous les traits de la malignité & de l’envie ne percent point ce rempart de douceur, de gaieté, de patience, de tranquillité, d’humanité, en un mot de vertus, ſinon théologiques, du moins morales & politiques, que la nature m’a données, & que la philoſophie a renforcées. Je me ſuis vu battu par la tempête, mais comme un rocher : je le dis ſans ſonger que Séneque l’a dit avant moi. Enfin aſſez Stoïcien ſur la douleur, ſur les maladies, ſur les calomnies, &c. je ſuis peut-être trop Epicurien ſur le plaiſir, ſur la ſanté & les éloges. Si ce n’eſt pas là ce qu’on appelle un heureux tempérament, qu’on me diſe donc où il eſt ; car quoi de plus fortuné que de pouvoir ſentir toujours la douce ardeur des rayons du ſoleil, ſans être incommodé de l’ombre & du froid que donnent les nuages qui le couvrent !