Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/232

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roit véritablement ne pas l’arroſer ſans plaiſir. C’eſt l’image de la vie d’un bon citoyen.

J’ai cru cette eſpece d’apologie & de digreſſion néceſſaire, & je viens enfin à la concluſion.

Puiſque tout eſt ſacrifié dans la vie à ce contentement interieur, auquel Epicure a donné le nom de volupté, concluons qu’il eſt la ſource de cette béatitude qui fait le ſouverain bien.Toutes les opinions des philoſophes reviennent donc à celle-là, & la nôtre même, au fond, n’en eſt pas différente. Epicure dit que c’eſt toujours l’envie de ſatisfaire, qui fait commettre les actions bonnes ou mauvaiſes : & moi je dis que c’eſt le ſentiment du bien-être qui nous détermine. J’en infere que le bonheur eſt, comme la volupté, à la portée de tout le monde ; des bons comme des méchans ; que les plus vertueux ne font pas plus heureux : ou que, s’ils le ſont, ce n’eſt qu’autant qu’ils ſentent avec délices leur maniere d’exiſter & d’agir. J’en infere que, faute de cette modification des nerfs, les bons peuvent être malheureux, tandis que ces mauvais ſujets qui ſont à eux-mêmes leur patrie, leurs amis, leur maitreſſe, leur femme & leurs enfans ; éternels contempteurs de la vertu & des vrais biens ainſi nommés, vivent contens ſeuls & inutiles au monde, pondus inutile terræ, dans la jouiſſance des faux biens, qui ne ſont apparemment ſi faux que de nom. J’en conclus que chacun a ſa portion de feli-