Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/31

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XXXVII.

Il eſt cependant des faits certains qui nous apprennent qu’on peut faire par néceſſité bien des choſes, que nos ſeuls uſages plus que la raiſon même nous font croire abſolument impoſſibles. L’auteur du traité de l’âme en a fait la curieuſe récolte. On voit que des enfans laiſsés aſſez jeunes dans un déſert, pour avoir perdu toute mémoire, & pour croire n’avoir ni commencement ni fin, ou égarés pendant bien des années dans des forêts inhabitées, à la ſuite d’un naufrage, ont vécu des mêmes alimens que les bêtes, ſe ſont traînés comme elles, au lieu de marcher droits, & ne prononçoient que des ſons inarticulés, plus ou moins horribles, au lieu d’une prononciation diſtincte, ſelon ceux des animaux qu’ils avoient machinalement imités. L’homme n’apporte point ſa raiſon en naiſſant ; il eſt plus bête qu’aucun animal ; mais plus heureuſement organisé pour avoir de la mémoire & de la docilité, ſi ſon inſtinct vient plus tard, ce n’eſt que pour ſe changer aſſez vîte en petite raiſon, qui, comme un corps bien nourri, ſe fortifie peu-à-peu par la culture, Laiſſez cet inſtinct en friche, la chenille n’aura point l’honneur de devenir papillon ; l’homme ne fera qu’un animal comme un autre.