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Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome second, 1796.djvu/54

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d’une longue expérience, qu’une raiſon chancelante & mal aſſurée ne peut ordinairement que mal ſaiſir ? Il y a de l’ingratitude à mettre la plus dégoûtante partie de notre être, je ne dis pas au-deſſus, mais au niveau de la plus belle & de la plus floriſſante. Si l’âge avancé mérite des égards, la jeuneſſe, la beauté, le génie, la vigueur, méritent des hommages & des autels. Heureux temps, où vivant ſans nulle inquiétude, je ne connoiſſois d’autres devoirs, que ceux des plaiſirs : ſaiſon de l’amour et du cœur, âge aimable, âge d’or, qu’êtes-vous devenus !

LXXXVI.

Préférer la vieilleſſe à la jeuneſſe, c’eſt commencer à compter le mérite des ſaiſons par l’hiver. C’eſt moins eſtimer les préſens de Flore, de Cérès, de Pomone, que la neige, la glace & les noirs frimats, les bleds, les raiſins, les fruits, & toutes ces fleurs odoriférantes, dont l’air est ſi délicieuſement parfumé, que des champs ſtériles, où il ne croît pas une ſeule roſe, parmi une infinité de chardons : c’eſt moins eſtimer une belle & riante campagne, que des landes triſtes et déſertes, où le chant des oiſeaux qui ont fui, ne ſe fait plus entendre, & où enfin, au lieu de l’alégreſſe & des chanſons de moiſſonneurs & de vendangeurs, regnent la déſolation & le ſilence.