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LA NATURE.

d’hydrogène ; M. Cailletet, M. Caron, et surtout le célèbre chimiste anglais, Th. Graham, avaient fait de ces gaz dissous, retenus, occlus dans les métaux, une étude approfondie.

Un fil de fer ordinaire, nettoyé avec soin et chauffé dans le vide pour expulser le gaz qu’il peut contenir dans ses pores, absorbe, d’après M. Graham, quand on le chauffe dans différents gaz, 46 parties pour 100 en volume d’hydrogène et 4,5 pour 100 d’oxyde de carbone. Le gaz spécial au fer du commerce, dont la nature dépend d’ailleurs de la forge dans laquelle il a été chauffé, est surtout l’oxyde de carbone ; la proportion de ce gaz s’élève de 7,00 à 12,50 pour 100.

Dans leurs récentes expériences, MM. Troost et Hautefeuille n’ont pas obtenu des quantités de gaz aussi considérables, mais ils ont parfaitement vérifié le fait même de l’occlusion des gaz par les corps chauffés, et c’est là ce qui nous importe pour l’instant.

Ainsi les corps fondus dissolvent des gaz et les abandonnent parfois au moment de leur refroidissement. Des corps simplement ramollis par l’action du feu peuvent même se charger de gaz, les conserver après le refroidissement et ne les perdre que lentement sous l’influence d’une nouvelle élévation de température et d’un vide presque parfait.

Ces faits sont non-seulement très-curieux, ils ont peut-être une très-grande importance au point de vue géologique. M Th. Graham en a donné, il y a déjà quelques années, une preuve remarquable en étudiant un échantillon de fer météorique provenant de Lenarto. Ce métal, soumis à l’action du feu dans un tube de porcelaine où l’on avait, d’abord fait le vide, a abandonné 2,85 fois son volume de gaz, dont les 86 centièmes sont de l’hydrogène, l’oxyde de carbone ne dépassant pas 4 1/2 pour 100. Les gaz fournis par le fer ordinaire sont bien différents : des clous de fer à cheval, soumis à la même épreuve, ont, en effet, donné 2,66 fois leur volume de gaz, renfermant 50 pour 100 d’oxyde de carbone et seulement 35 pour 100 d’hydrogène.

On sait aujourd’hui que l’hydrogène constitue le gaz le plus abondant des étoiles, et M. Janssen l’a reconnu en quantités énormes dans les protubérances du soleil ; et comme d’autre part on sait que le fer ne peut à la pression de notre atmosphère absorber plus de son volume de gaz hydrogène, il faut en conclure que le fer de Lenarto provient d’un astre dans lequel l’hydrogène existait à une pression considérable et à une température élevée ; l’hydrogène qu’on en a tiré nous dévoile donc la nature, la température, la pression de l’atmosphère de l’astre inconnu, dont provient le fer de Lenarto.

Revenons sur la terre, et voyons si les considérations précédentes ne sont pas de nature à éclaircir un phénomène remarquable dont l’explication n’est pas encore complète.

Les volcans, au moment de leurs éruptions, émettent des gaz variés : d’abord de l’acide chlorhydrique, de l’acide sulfurique, de l’acide sulfhydrique ; plus tard, quand l’époque de l’éruption est déjà plus reculée, les hydrogènes carbonés dominent ; enfin apparaît le dégagement d’acide carbonique, qui se continue pendant des siècles ; nos volcans d’Auvergne sont éteints depuis des milliers d’années, et cependant les sources chargées d’acide carbonique se rencontrent abondamment, à Royat, au mont Dore, à Saint-Nazaire, etc. Le dégagement de l’acide carbonique a été constaté dans une foule d’évents volcaniques : la grotte du Chien, près de Naples, est trop célèbre pour qu’il soit nécessaire de la rappeler ; au volcan de Proto, les fumerolles sont presque exclusivement formées d’acide carbonique ; à Java, c’est le même gaz qui se dégage avec une abondance extrême de la solfatare éteinte nommée, Guevo Upas ou Vallée du poison. Le sol est partout couvert de carcasses de tigres, de chevreuils, d’oiseaux, et même d’ossements humains, car tout être vivant est asphyxié dans ce lieu de désolation.

Ainsi le dégagement d’acide carbonique se continue des évents volcaniques pendant des siècles, et sur un très-grand nombre de points du globe. Si l’activité volcanique n’excite qu’une médiocre attention en Europe, il n’en est pas de même dans d’autres contrées ; Humboldt compte 407 volcans à la surface du globe, dont 225 seulement en activité depuis les temps modernes ; depuis, on a porté ce nombre à 270, parmi lesquels 190 sont dans les îles ou sur les bords de l’océan Pacifique ; la plus grande partie de ces volcans sont situés le long de la grande fracture, probablement très-récente, du globe qui, commençant à la Terre-de-Feu, longe toute la côte du continent américain et se prolonge par le Kamtchatka, le Japon, jusqu’aux Moluques, à Java et à Sumatra. En dehors de cette série remarquable, on trouve encore des volcans actifs dans la Nouvelle-Bretagne, les îles Salomon, les Nouvelles-Hébrides, la Nouvelle-Calédonie, la Nouvelle-Zélande et jusque dans le voisinage du pôle antarctique, où l’illustre marin anglais sir John Ross a découvert l’Erèhe et le mont Terror au milieu des glaces.

La quantité d’acide carbonique dégagé par ces foyers volcaniques est à coup sûr immense. M. Boussingault a trouvé, en 1827, que 95 pour 100 du gaz émis par les volcans de l’Amérique méridionale étaient formés d’acide carbonique ; M. Bunsen a constaté la même composition dans les gaz émis par l’Hécla.

Nous arrivons enfin au point qu’il s’agit d’éclaircir : Quelle est l’origine de l’acide carbonique, d’où vient-il ? Quel est le réservoir inépuisable qui fournit depuis des milliers d’années à cette dépense excessive ?

Il est clair que notre atmosphère n’a pas toujours eu la composition qu’elle a aujourd’hui. Quand la terre s’est séparée du soleil, elle devait avoir exactement la même température que lui, et par suite la masse gazeuse qui l’entourait renfermait de l’hydrogène incandescent, du sodium, du fer, comme il y