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LA NATURE.

Comme nous l’avons dit plus haut, les phénomènes sont quelquefois plus complexes, et la réverbération produite par le miroir d’air peut avoir lieu dans le ciel. C’est le phénomène qui se présente lorsqu’un courant d’air chaud se trouve intercalé entre deux couches d’air froid. Alors les images extraordinaires se montrent aussi bien à la surface supérieure qu’à la surface inférieure de la couche intermédiaire. C’est ainsi que l’on peut expliquer les diverses variétés du mirage qui ont été observées à différentes reprises dans la Manche, et dont les mémoires insérés, en 1799 et en 1800, dans les Transactions philosophiques, donnent de nombreux exemples. Ces miroirs célestes produisent des apparitions d’armée, de villes ou de troupeaux apparaissant dans les nuages. Les cas de suspension aérienne observés à Paris se rapportent au même phénomène. Cette explication a même été indiquée d’une manière grossière par Cardan à propos de l’apparition d’un ange planant au-dessus de la ville de Milan. Il a fait voir que cette figure n’était que l’image d’une statue surmontant un des clochers de la cité.

Dans Lycosthène, Julius Obsequens et autres chroniqueurs, on parle très-souvent de l’apparition d’armées venant se montrer dans les nuages, et qui pouvaient être simplement l’image de combats se livrant à quelque distance. Cependant, il peut également se faire que ces apparitions, simplement fabuleuses, n’aient jamais eu lieu, et que les dits chroniqueurs n’aient fait que duper leurs lecteurs, si eux-mêmes n’avaient point commencé à être, les premières dupes (Fig. 2).

Fig. 2. — Fac-simile d’une estampe de la Bibliothèque nationale[1] (1557).

Nous n’en finirions pas si nous voulions expliquer toutes les illusions auxquelles les miroirs d’air peuvent donner lien. Mais il est un genre de troubles de la vision dont nous ne pouvons nous empêcher de dire quelques mots. En effet, rien n’oblige, comme on a le tort de le croire, à supposer que ces miroirs soient nécessairement plans. Ils peuvent prendre une forme curviligne dans certaines circonstances particulière du refroidissement ou du réchauffement atmosphérique. Car ce phénomène se produit aussi bien dans un cas que dans l’autre. Ce qui le prouve surabondamment, ce sont les récits du capitaine baleinier Scoresby, dans son Tableau des régions arctiques.

Les mirages sont plus nombreux peut-être sous les pôles que dans l’équateur. La seule différence, c’est que le pouvoir réfringent de la couche perturbatrice, au lieu d’être produit par une augmentation de chaleur, est le résultat d’une contraction extraordinaire produite par le froid. Si on admet que le sable du Sahara produit une action positive, il faudra dire, que les glaces de la banquise produisent une action négative. Mais tous les raisonnements faits pour un cas conviendraient à l’autre en changeant les signes dans le sens qui convient. Si les miroirs d’air sont curvilignes, les images peuvent être déformées et amplifiées comme avec une lentille. On peut, avoir de véritables anamorphoses. Ces miroirs d’air doivent se produire souvent la nuit d’une façon irrégulière, quand il fait froid à terre et que le ciel est serein, ce qui arrive très-fréquemment. En effet, les ascensions aérostatiques prouvent qu’il fait généralement plus chaud à une certaine altitude. Ne serait-ce point par hasard ce mirage imparfait qui produirait le tremblotement ou la scintillation des étoiles et des planètes ? Si les étoiles scintillent presque toujours, même quand les planètes sont tranquilles, c’est sans doute, en admettant l’hypothèse que nous hasardons, que leur lumière traversant un nombre bien plus grand de matières diaphanes ne nous saurait arriver limpide, tranquille et pure. Il n’y aurait rien d’extraordinaire à admettre qu’elle éprouve une réfraction et un trouble particulier, en pénétrant dans notre monde solaire. Quoiqu’il en soit, on peut dire que la théorie physique des mirages est encore à faire, car on a oublié d’observer et l’on s’est borné à disserter à perte de vue sur les courbes qui peuvent le mieux représenter les trajectoires.

Avec un mélange d’eau froide et d’eau chaude, on pourra certainement produire des effets de mirage analogues à ceux qu’on obtient avec différents liquides diaphanes. Il suffirait, je pense, de chauffer l’eau par le haut, afin que les bulles n’en troublent pas la transparence.

Nous ne pouvons terminer cette revue sommaire sans protester contre deux erreurs des physiciens. La première, de beaucoup la moins grave, est de croire que les rayons lumineux suivent forcément une ligne régulière, mais, d’après ce qui précède, on peut voir qu’ils peuvent suivre une trajectoire quelconque

  1. Cette gravure est reproduite d’après un livre, très-rare et très-ancien, intitulé : Prodigiorum ac ostentorum chronicon, MDLVII dû à Lycosthène. Nous aurons l’occasion de parler très-prochainement de cet ancien ouvrage.