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LA NATURE.

pagne pour lancer des boulets de 12 livres, ne peuvent être utilisées lorsqu’il s’agit de projectiles de 250 kilogrammes, exigeant des charges de 30 kilog. de poudre. Pour comprendre l’impossibilité dans laquelle on se trouvait d’employer le bronze pour les gros calibres, il est bon de rappeler que lorsqu’un tube métallique est soumis à une pression intérieure, la résistance de ce tube n’est pas proportionnelle à son épaisseur et dépend surtout de la ténacité du métal qui le compose. On peut même arriver à formuler ce résultat, en disant qu’un cylindre creux, d’une épaisseur quelconque, ne peut supporter une pression intérieure plus forte que la résistance à la rupture, d’une barre de même matière : ainsi, par exemple, si une tige de métal d’un centimètre carré de section se brise sous l’effort d’un poids de 1 000 kilogrammes, un cylindre de ce même métal éclatera s’il est soumis à une pression de 1 000 kilogrammes environ par centimètre carré.

D’après cela, lorsqu’un canon doit subir l’effet brusque et presque instantané de pressions supérieures à 3 000 atmosphères, il est clair que les métaux qui le composent doivent offrir une résistance énorme sous une épaisseur telle que le poids de la pièce n’en rende pas la manœuvre impraticable.

Partant de ces principes, les ingénieurs des différents pays ont cherché à combiner le plus avantageusement possible, dans la fabrication des bouches à feu, l’emploi des métaux dont la ténacité est la plus grande : le fer et l’acier. Mais, en raison des difficultés de toute nature que présente la mise en œuvre de blocs de fer pesant 20 tonnes et plus, on a dû former chaque canon de plusieurs parties travaillées séparément, puis réunies à chaud par le moyen de gigantesques marteaux à vapeur. Cette manière d’opérer offre surtout l’avantage de fournir des pièces parfaitement homogènes, par suite du fini que comporte le procédé de détail ; de plus, on peut ainsi donner aux diverses parties du canon une position relative telle, que chacune d’elles concoure à la résistance à l’éclatement dans un sens déterminé. Ainsi, la force de cohésion du fer forgé étant, dans la direction des fibres, double de celle qu’il présente en travers, il y aura intérêt à forger une pièce de culasse dans le sens parallèle à l’axe du canon, tandis que les tourillons qui supportent la pièce devront être travaillés perpendiculairement à ce même axe.

Ces quelques préliminaires posés, nous allons examiner successivement les trois systèmes de construction énumérés plus haut, en prenant pour type de chacun d’eux une bouche à feu remarquable par ses dimensions et réalisant tous les perfectionnements apportés jusqu’à ce jour.

1o Système de Woolwich (chargement par la bouche).

L’artillerie anglaise, pleine d’enthousiasme il y a quinze ans pour les canons de sir W. Armstrong, se chargeant par la culasse, paraît aujourd’hui avoir reporté ses préférences sur le mode de chargement par la bouche. La fonderie royale de Woolwich fournit actuellement, dans ce système, des pièces de tous les calibres, depuis celui de 7 livres (poids du projectile), jusqu’à celui de 12 pouces (0m30) de diamètre, lançant des projectiles de 518 kilogrammes. Le Woolwich’s Infant, représenté par notre gravure, constitue le plus beau spécimen de ce genre de fabrication. Ce canon se compose d’un tube en acier qui forme l’âme, d’un second tube plus épais en fer enroulé (rolled iron), enveloppant le précédent sur la moitié environ de sa longueur du côté de la volée, d’un bloc de culasse qui s’emboîte avec le second tube, et enfin d’un tampon de culasse en fer forgé. Le travail des coils ou barres de fer enroulé mérite une mention spéciale : pour les obtenir, on place dans un four chauffé au rouge un mandrin légèrement conique, autour duquel, par une rotation dans un sens déterminé, on peut enrouler en hélice une barre de fer placée dans le four. Cette barre est ensuite dégagée du mandrin, puis chauffée au blanc soudant, et enfin soumise à l’action d’un puissant marteau-pilon qui rapproche les spires de l’hélice et régularise les surfaces intérieure et extérieure du coil. On peut former des tubes d’une solidité remarquable en superposant des coils dont les diamètres vont en augmentant ; on a d’ailleurs soin, à chaque opération, de les chauffer à blanc et de les porter sous le marteau pour les souder entre eux.

Voici maintenant de quelle manière sont assemblées les différentes parties du canon : le tube en acier, après avoir été foré aux 9/10mes environ, est forcé dans le second tube, composé lui-même d’un double coil et préalablement chauffé au feu de bois. La volée étant ainsi ajustée, on la réunit de même au bloc de culasse, formé d’un coil double et d’un triple, emboîtés l’un dans l’autre et maintenus par la frette des tourillons. Tous ces assemblages se font à chaud ; pendant chaque opération, un courant d’eau froide dirigé dans l’intérieur de l’âme refroidit la pièce de manière à régulariser le serrage des diverses couches concentriques ; puis la masse étant chauffée à blanc, on la soumet à l’action de marteaux pesant vingt et trente mille kilogrammes, qui en soudent les diverses parties avec une solidité à toute épreuve. Il ne reste plus alors, après avoir fileté la vis du tampon de culasse et l’avoir fixée, qu’à aléser soigneusement l’intérieur et l’extérieur de la pièce, puis à rayer l’âme.

Les officiers de l’artillerie anglaise se félicitent des bons résultats donnés par l’emploi du canon que nous venons de décrire. Quoique la pièce seule pèse 35 tonnes, la manœuvre en est assez facile, grâce à un ingénieux système d’affût ; le Woolwich’s Infant lance des projectiles de 318 kilos avec une vitesse initiale de 400 mètres environ.

2o Système Krupp (chargement par la culasse).

Les canons de ce système étaient, dans l’origine, formés d’un bloc massif d’acier fondu, qu’on amenait ensuite, par le travail du marteau et du tour, à ses dimensions définitives. Depuis lors, M. Krupp a adopté, dans ses ateliers d’Essen, la fabrication par