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LA NATURE.

l’extérieur, ont pour effet d’engager le projectile dans les rayures, de manière à lui donner le mouvement de rotation nécessaire, et en même temps empêcher la fuite des gaz pendant le, tir, inconvénient qui serait très-grave au point de vue de la justesse et de la portée.

Le canon d’Oboukhoff, construit pour la marine russe, dans le système que nous venons de décrire, pèse 40 tonnes ; il lance des projectiles de 290 kilogrammes avec une vitesse initiale du 410 mètres environ.

3o Système français (chargement par la culasse).

Nous prendrons pour type de ce système le canon de 0m,27 (modèle de 1870), qui représente le plus gros calibre couramment adopté par la flotte. La fabrication d’une de ces bouches à feu s’effectue comme il suit : On coule un tube en fonte, puis on y adapte successivement deux rangs de frettes en acier puddlé, fixées à chaud par des procédés analogues à ceux que nous avons décrits plus haut. Une heureuse modification apportée au modèle de 1864 consiste dans l’addition, à l’intérieur de l’âme, d’un tube court en acier placé le long de la chambre de culasse jusqu’à l’extrémité du logement du projectile. L’effet principal de ce tube est de prévenir le déculassement, c’est-à-dire la rupture des filets de la vis intérieure, rupture qui se produisait assez fréquemment lorsque l’âme était en fonte sur toute sa longueur. La fermeture de culasse consiste en une vis centrale placée dans l’axe du canon de manière à former bouchon à l’arrière. Cette vis, dite à filets interrompus, se compose d’un cylindre en acier, fileté le long de trois secteurs d’un sixième de circonférence, séparés par trois autres secteurs non filetés. Une disposition semblable de la vis intérieure permet d’introduire la culasse mobile par glissement. À cet effet on lui donne une position telle que ces filets soient en regard des parois lisses de la culasse, et inversement. Il suffit alors d’un sixième de tour de la manivelle fixée à l’arrière du bouchon pour le visser complètement. L’obturateur est formé d’un anneau en cuivre, en forme de gouttière amincie, placé dans l’âme de manière à appuyer, par sa face postérieure, contre une autre couronne en cuivre encastrée dans la tête de la vis ; il s’établit ainsi un contact d’une intimité parfaite qui prévient toute fuite des gaz. Le projectile est revêtu de ceintures en cuivre dont la supériorité sur celles en plomb est de ne pas encrasser l’âme : au contraire, le cuivre offre, en raison de sa dureté, l’avantage d’assurer par le tir même le nettoyage des rayures. Le canon de 0m,27 pèse 20 tonnes environ et lance des projectiles de 216 kilogrammes, avec une vitesse initiale de 420 mètres.

Nous ne croyons pouvoir mieux établir une comparaison entre les divers systèmes énumérés ci-dessus qu’en empruntant les lignes suivantes à une brochure récemment publiée par un officier distingué, M. Sébert :

« Tandis que nos bouches à feu actuelles, qui reviennent, toutes terminées, à 1 fr. 25 le kilogramme, peuvent imprimer à leurs boulets massifs une vitesse de 420 à 450 mètres, selon le calibre, et à leurs obus une vitesse de 470 à 500 mètres, les canons anglais de construction Fraser, à tube intérieur d’acier, coûtent plus de 3 francs le kilogramme, et ne donnent que des vitesses de 390 à 415 mètres, lorsqu’ils tirent des projectiles dont les poids sont dans le même rapport avec les calibres que ceux des boulets français.

« Les canons Krupp, en acier, coûtent bien davantage encore. Leur prix s’élève à 6 francs le kilogramme. Ils ne peuvent cependant imprimer à leurs projectiles massifs, avec la poudre prismatique, qu’une vitesse de 410 mètres au maximum ; et les accidents survenus, dans ces dernières années, avec ces canons, en Russie et en Italie, accidents dont on n’a qu’imparfaitement réussi à masquer l’importance, sont venus prouver qu’ils n’avaient même pas pour eux l’avantage de la sécurité de l’emploi …

« Le canon français de 52 centimètres, dont quatre spécimens sont déjà construits, et dont le projectile, du poids de 550 kilogrammes, aura une vitesse initiale de 410 mètres, traversera les murailles revêtues de plaques de :

15 cent. à toutes distances ;
20 — à 6 700 mètres ;
25 — à 4 500 mètres ;
30 — à 2 500 mètres. »

On ne peut nier l’éloquence de ces chiffres qui font voir la valeur des résultats obtenus : espérons que chaque jour, les expériences de nos savants officiers viendront fournir de nouvelles preuves des progrès qu’il serait temps de voir réalisés par l’artillerie française.

P. de Saint-Michel.

CHRONIQUE

Météores aqueux. — Les orages se sont signalés récemment sur plusieurs points de notre territoire avec une violence, extraordinaire. Vers la fin du mois dernier, une trombe d’eau s’est abattue sur la ville de Tulle et y a exercé de nombreux dégâts. La grêle se mêlait à une pluie effroyable, qui tombait avec une indicible énergie, accompagnée de violents coups de foudre. Les rues de Tulle furent en une minute transformées en véritables torrents. À la même époque, la ville de Louviers (Eure) a été également éprouvée. Une trombe de vent, mêlée de grêle, s’est jetée sur la ville et les environs, où tombaient des grains de grêle aussi gros que des œufs de pigeon. Tous les carreaux des habitations volaient en éclats, les feuilles et les branches même ne tardèrent pus à joncher le sol, sous les coups réitérés des projectiles célestes. Les dégâts sont incalculables : les caves de Louviers ont été toutes inondées ; pas une maison de la ville n’a été respectée. Dans les campagnes, les pommiers ont été dépouillés de leurs fruits, et les moissons, qui n’étaient pas encore rentrées, complètement perdues. La paille elle-même a été réduite en fragments. Jamais semblable désastre n’avait eu lieu dans le pays.