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LA NATURE.

terre est meuble, ce qui fait que souvent le même amas de terre renferme un grand nombre de grappes d’œufs. Le trou est d’abord enduit d’une matière albumineuse rejetée par l’oviducte, puis les œufs, au nombre de 80 à 90, sont pondus en trois rangées et entourés chacun de la même viscosité, et enfin la femelle ferme le trou au-dessus de la grappe d’œufs par une bave blanche et mousseuse, destinée à dérober le nid aux insectes parasites. La matière d’enduit se sèche, brunît et s’incruste de grains de terre formant alors une sorte de coque courbe, arrondie à bout et tronquée à l’autre, que ferme une calotte de terre. Les œufs sont d’un beau jaune au moment de la ponte, oblongs, arrondis aux deux bouts, longs de 0m,008 à 0m,009, larges de 0m,002. Huit jours après la ponte, ils deviennent d’un blanc grisâtre, et ont perdu leur transparence. Les petites larves à grosse tête éclosent 20 à 25 jours après la ponte, suivant la nature du sol, l’influence atmosphérique, l’humidité, etc., causes qui avancent ou retardent l’incubation. Elles mangent la substance albumineuse de la glèbe des œufs, et même parfois la coque de ceux-ci. D’un blanc sale en éclosant, elles durcissent et se colorent en peu d’heures, devenant noires avec des marquetures blanches. Les femelles pondeuses meurent souvent sur place, et, dans la grande invasion de 1866 en Algérie, on remarquait que les amas de criquets rejetés sur le sable par les vagues contenaient beaucoup de mâles et peu de femelles ; cependant quelquefois les couples survivent plusieurs jours à l’accouplement et à la ponte.

Le genre Acridium nous offre une autre espèce dévastatrice pour laquelle les renseignements sont moins précis. Elle offre beaucoup de variations, ce qu’indiquent les noms d’Acridium tartaricum, Linn. ; et Lineola, Fabr. donnés à ses deux principales races. L’espèce est plus petite que la précédente, avant 0m,039 à 0m,058, chez la femelle et 0m,035 à 0m,047 chez le mâle, dont la taille est notablement moindre, fait fréquent chez les insectes. La tête, le corps et les pattes sont d’un vert jaunâtre, passant souvent au brun en se desséchant, poilus, maculés de brun. Les élytres, beaucoup plus longues que l’abdomen, sont comme nébuleuses en raison de leurs nombreuses nervures brunes ; les ailes transparentes, rembrunies au sommet, ont vers le milieu une large bande noirâtre, arquée, sans contours nets. Les deux races diffèrent par les couleurs des pattes.

Cette espèce se rencontre en Italie, en Espagne, en Portugal, en Dalmatie, en Sardaigne, en Hongrie, dans le Tyrol austral. On en trouve des individus isolés, mais très-rarement en septembre, dans les prairies, jusque dans le milieu de l’Allemagne. Elle existe dans la Provence, et l’entomologiste Solier l’indique parmi les espèces nuisibles des environs de Marseille. On ne l’a jamais rencontrée au centre ni au nord de la France. Joignons à ces localités l’Égypte, l’Algérie (H. Lucas), la Syrie (c’est, dit-on, l’espèce qui se vend cuite sur les marchés de Bagdad), peut-être les Indes orientales. Latreille et Ericson disent que cette espèce émigre souvent et dévaste les campagnes ; cependant elle ne possède peut-être pas partout cette redoutable propriété. En effet, un excellent observateur, Rambur, bien connu pour ses explorations de la Corse et de l’Andalousie, affirme qu’en Espagne cet Acridien ne se trouve pas en troupe ni à terre, comme la plupart des espèces voyageuses, mais habite isolément sur les arbres. Si quelqu’un s’approche de l’arbre où il gîte, il s’envole avec un frémissement, presqu’à la façon d’un oiseau, mais toutefois ne vole pas loin.

Un second genre contient les espèces les plus dangereuses pour l’Europe, c’est le genre Pachytylus, Fieber. Le prothorax n’offre pas de proéminence en dessous, et présente en dessus, outre la carène du milieu, des carènes latérales peu développées ; il se prolonge en arrière. Les épaules sont obtuses et proéminentes ; les ailes sont bien développées, raccourcies quelquefois chez la femelle, mais demeurant propres au vol. Le P. migratorius, Linn. atteint. 0m,054 chez la femelle et 0m,049 chez le mâle, dimensions moindres que celles du Criquet pèlerin. Son corps est lisse, sans poils, ordinairement vert, quelquefois brunâtre. Les élytres et les ailes dépassent beaucoup l’abdomen dans les deux sexes ; les élytres sont jaunâtres à la base, parsemées partout de taches brunes en bandes nuageuses ; les ailes sont grandes, d’un vert jaune au milieu, souvent enfumées au bout. Les pattes postérieures sont d’un jaunâtre pâle avec les jambes souvent bleuâtres. Une seconde race, qui paraît remonter plus au nord de l’Europe, a les jambes postérieures d’un rouge sanguin plus ou moins prononcé. C’est le P. danicus, Linn. ou cinerascens, Fabr., dont beaucoup d’auteurs font une espèce distincte. Ce Criquet migrateur, originaire, dit-on, des steppes de la Tartarie, produit ses ravages dans une grande partie de l’Europe, se trouve, aussi en Asie-Mineure, en Algérie (H. Lucas), à l’île Madère, et aussi, paraît-il, à l’île de France. Il habite constamment l’Espagne et l’Italie, la Hongrie, la Dalmatie. Il apparaît, dit-on, en hiver en troupes dans les campagnes du Valais. Des individus isolés se prennent au mois de septembre près de Fribourg-en-Brisgau, de Francfort-sur-le-Mein, etc. Il en est de même pour le centre et le nord de la France. Il est commun dans les plaines arides de la Sologne, mais difficile à approcher. Près de Paris, on rencontre parfois à l’arrière-saison ce curieux insecte, de beaucoup le plus grand de nos Acridiens ; il a été trouvé à Fontainebleau, dans une prairie près de Sceaux, en septembre, à Vanves, à Montrouge (les deux sexes), enfin dans le jardin même du Muséum. Ce sont des sujets emportés au loin par le vent ; Geoffroy, notre vieil historien des insectes de Paris, n’a pas connu cette espèce. Le Criquet migrateur remonte au nord jusqu’en Danemarck et en Suède ; une de ses colonnes fut poussée par les vents en Angleterre en 1748. On l’a rencontré en Irlande, près de Dublin. Un des entomologistes les plus distingués de la Belgique et de