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LA NATURE.

les vignes mal cultivées ou abandonnées à elles-mêmes, ne sont pas plus que les autres exemptes des ravages du phylloxéra.

Pour M. de Gasparin, la maladie régnante n’est qu’un effet accidentel dû à la grande gelée de 1867, qui, en provoquant des embarras dans le cours de la sève, a préparé les plants à l’attaque du puceron ; mais les vignes sur lesquelles cette gelée n’a pas agi d’une manière sensible, n’ont pas été plus préservées. Pour ce qui est de l’influence de la sécheresse anomale qui a persisté pendant plusieurs années, il suffit de rappeler que le mal ne s’est pas déclaré partout où elle a régné, et en outre que les vignes les moins malades ne reprennent pas par le retour de l’humidité si le phylloxéra y est déjà installé.

L’influence de la nature du sol et du climat, invoquée à l’époque où le fléau ne désolait encore que les localités voisines du bas Rhône, a perdu beaucoup de sa certitude depuis qu’il a étendu ses ravages à des grandes distances de son point de départ sur les terrains les plus divers et à la fois sous le climat méditerranéen de la Provence et sous le climat océanique de la Gironde.

En présence des objections qu’il est possible d’opposer à leur efficacité, les circonstances que nous venons d’énumérer paraissent devoir être considérées plutôt comme causes d’aggravation que comme causes déterminantes ou prédisposantes. Lorsqu’elles accompagnent le phylloxéra, le dépérissement des vignes marche d’un pas plus rapide, mais le phylloxéra peut se passer de ces auxiliaires et commencer seul l’œuvre de destruction, qu’il poursuivra sans relâche jusqu’au dernier terme.

Les faits suivants fournissent des arguments plus directs aux viticulteurs, qui soutiennent que le phylloxéra suffit pour expliquer la nouvelle maladie.

M. de Serres à Orange, M. Signoret à Fontainebleau ont transporté l’insecte sur des vignes parfaitement saines et en plein état de prospérité : ces vignes ont péri.

On a déplanté des ceps dont les racines étaient couvertes de phylloxéras, on les a lavés et brossés avec le plus grand soin, et lorsque tous les parasites furent ainsi enlevés jusqu’au dernier, on replanta ces ceps dans une terre intacte : depuis cette opération ils sont revenus à leur état normal et n’ont pas cessé un instant d’offrir une végétation vigoureuse. Ce nettoyage des racines a été pratiqué pour la première fois dans les serres d’Irlande, en 1867 ; partout où il a été appliqué depuis, il a continué à donner les mêmes résultats.

M. Faucon, de Graveson, par son ingénieux procédé de l’immersion, a réussi également à débarrasser ses plantations des innombrables phylloxéras qui les avaient envahies : tous les ceps ont repris, et son domaine forme aujourd’hui comme une sorte d’oasis au milieu d’une région complètement dévastée. Ainsi, détruire le phylloxéra, c’est sauver les vignes. Le même viticulteur a constaté de visu le passage du phylloxéra d’une souche malade à une souche voisine jusque-là pleine de vitalité, mais bientôt compromise par le seul fait de la présence du parasite.

Tout s’accorde donc à prouver que le phylloxéra est bien le véritable auteur du désastre de nos vignobles, et que c’est avant tout sur lui que nous devons diriger notre attention et concentrer nos efforts.

Il est évident d’ailleurs que si le mauvais état de santé suffisait pour exposer les vignes aux attaques du phylloxéra, les ceps déjà souffrants devraient être les premiers à subir les atteintes du fléau, et les vignes vigoureuses ne pourraient être saisies par lui qu’après une période de dépérissement préparatoire. Or, lorsqu’on suit la marche irradiante dont nous avons parlé plus haut, on constate aisément que le fléau détruit successivement tous les plants sans distinction et sans se préoccuper en aucune façon de leur état de santé ou de maladie : les souches souffrantes sont achevées, les souches vigoureuses sont tuées de mort violente. Les ceps voisins du centre d’attaque ont la plus belle, apparence : rien, si ce n’est ce voisinage funeste, n’avertit qu’ils vont bientôt périr. L’affaiblissement préliminaire ne peut donc ici être invoqué. Le temps nécessaire manquerait, d’ailleurs, car la mortalité suit la marche même du parasite, toujours à la recherche d’une nouvelle proie et obligé autant par son avidité que par sa multiplication extrêmement active, à élargir rapidement le cercle de ses dévastations. Le phylloxéra devance donc toujours cette prétendue maladie préparatoire qui, selon certains viticulteurs, lui livrerait l’entrée du terrain sur lequel il doit exercer ses ravages.

IV

Le phylloxéra doit être considéré, non comme un véritable puceron, mais plutôt comme un type intermédiaire, entre les pucerons proprement dits et les cochenilles. Il se relie à ces dernières, principalement par la cochenille des serres ; ses rapports avec les pucerons s’établissent surtout par l’adelge ou pou du sapin, à qui il faut attribuer les galles alvéolées si curieuses, qui tuméfient les jeunes rameaux de ce conifère.

Tous les phylloxéras observés sont des femelles, car les mâles se sont jusqu’ici dérobés aux recherches des entomologistes. Ces femelles se présentent sous deux formes : la forme aptère, de beaucoup la plus fréquente, et la forme ailée.

Sous le rapport de l’habitat, on distingue le phylloxéra des racines et le phylloxéra gallicole, logeant dans les verrues bursiformes présentées par les feuilles de certaines vignes. Ces deux phylloxéras sont d’ailleurs identiques comme structure. Le dernier est le seul qui ait été observé aux États-Unis, et sa présence en Europe n’a guère été signalée que dans les localités où des cépages américains ont été importés.

Dates de la découverte du phylloxéra. — Asa