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LA NATURE.

mes, qui étaient de 39 pieds 4 pouces anglais (12 mètres) de longueur, et de 4 pieds 10 pouces (1m,47) d’ouverture. De pareilles proportions étaient cependant bien mesquines auprès de celles que lui attribuaient les personnes qui ne l’avaient pas vu. Un matin, le bruit se répandit dans Londres que l’illustre astronome Herschel venait de donner un bal dans le tuyau cylindrique de son télescope. Cette fantaisie parut pleine d’originalité, et servi à faire considérer comme véritablement phénoménal l’instrument, que l’on regardait déjà comme un colosse.

La nouvelle du prétendu bal d’Herschel fut démentie ; il se trouva que l’on avait confondu le célèbre astronome avec un brasseur, et le grand télescope avec un immense tonneau à bière, dans l’intérieur duquel on avait effectivement dansé un quadrille. Quelque désœuvré avait sans doute trouvé piquant de transporter à Slough le lieu de la fête, et de faire danser toute une société dans un tube de fer où un homme de la plus petite taille aurait eu de la peine à se tenir debout. On était si prévenu en faveur du célèbre instrument d’Herschel, que le démenti ne fut pas accepté par tout le monde, et que longtemps après on parlait encore du singulier bal donné par le grand astronome. Ce télescope était de ceux dits à vue de face (front view télescopes). L’image de l’astre venait se peindre sur un miroir concave, situé un peu obliquement au fond du tube, où l’astronome l’observait avec une loupe, ou à la simple vue, en se plaçant à l’extrémité antérieure et en tournant le dos aux objets. Le miroir concave de ce télescope pesait à lui seul plus de 1 000 kilogrammes. Pour faire mouvoir un instrument d’une pareille lourdeur, Herschel fut obligé d’imaginer un mécanisme des plus compliqués et se composant de toute une combinaison de mâts, d’échelles, de poulies et de cordages, comme le gréement d’un grand navire de guerre. Ce gigantesque appareil n’avait pas peu contribué à donner au télescope de Slough sa fantastique célébrité.

Aujourd’hui, cet instrument n’existe plus que comme une relique de famille, pieusement conservée dans le parc. Le 1er janvier 1840, sir John Herschel et sa femme, leurs enfants, au nombre de sept, quelques anciens serviteurs de la famille se réunirent à Slough. À midi précis, l’assemblée fit plusieurs fois processionnellement le tour du monument, ensuite elle s’introduisit dans le tube du télescope, se plaça sur des banquettes préparées d’avance pour la recevoir et entonna un Requiem en vers anglais, composé par sir John Herschel lui-même. Après sa sortie, l’illustre famille se rangea en cercle autour du tuyau, et l’ouverture fut scellée hermétiquement. La journée se termina par une fête intime.

Ces deux télescope de lord Rosse et d’Herschel ont été si souvent dessinés, qu’ils doivent être connus de nos lecteurs. Il n’en est pas de même de celui dont nous allons parler.

Actuellement, l’un des plus grands télescopes qui fonctionnent dans les observatoires, est avec ceux de lord Rosse et de Melbourne, celui de Lassel, dans l’île de Malte. Son diamètre est de 4 pieds anglais, comme celui de Melbourne, auquel il devait d’abord servir de modèle. Il est construit dans le système newtonien et sa longueur est de 10 mètres. L’oculaire est placé à l’extrémité supérieure du tube, qu’il traverse perpendiculairement, pour viser le petit miroir plan, incliné à 45 degrés, sur lequel viennent converger les rayons lumineux réfléchis par le grand miroir placé au bas du tube. L’astronome est donc obligé de s’élever jusqu’à la hauteur de l’oculaire, et pour cela on a construit une véritable tour, qui glisse le long d’un chemin de fer autour du télescope ; elle est à plusieurs étages, et l’astronome se place sur un balcon mobile qui peut monter et descendre suivant les hauteurs nécessaires à l’observation, et se rapprocher du centre suivant l’inclinaison du télescope. Comme les vagues d’air qui traversent constamment l’atmosphère dans tous les sens, surtout verticalement après les journées chaudes, en léchant les murs des édifices, sont très-nuisibles à la netteté des images, quand le grossissement employé est très fort, on cherche à les éviter autant que possible en installant les grands instruments en plein air. C’est ce qui arrive pour celui-ci, qui n’a même pas pour le soutenir les murs épais que lord Rosse a donnés au sien. On retire le miroir du fond du tube quand on ne s’en sert plus. À cause des leviers et de la tour, cet instrument ne peut pas être dirigé vers tous les points du ciel. Les grossissements applicables à ce télescope varient de 500 à 1 500. C’est à l’aide de cet instrument que M. Lassel a découvert le satellite de Neptune, ainsi que le 1er et le 2e d’Uranus, avec un oculaire grossissant 1 060 fois. Le savant astronome l’a construit à ses propres frais : il lui revient à 72 000 francs. Le miroir est en métal et le tube est établi à jour dans sa partie supérieure, comme on le voit sur notre gravure.

Camille Flammarion.

La suite prochainement.


LA FLORE CARBONIFÈRE
DU DÉPARTEMENT DE LA LOIRE.

Un savant distingué, M. Grand’Eury, a fait de la flore des terrains houillers supérieurs, et notamment de ceux du bassin de Saint-Étienne, l’objet d’une nouvelle et importante étude dont les résultats, communiqués d’abord à l’Académie des sciences, ont été succinctement exposés par M. Ad. Brongniart dans un travail du plus haut intérêt[1].

Le paysage qui accompagne notre texte a été composé par M. A. Tissandier, d’après les dessins originaux de M. Grand’Eury. Les proportions, le port et

  1. Annales des sciences naturelles ; Botanique ; 5e série t. XVI.