Page:La Nature, 1873.djvu/62

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
54
LA NATURE.

vif intérêt et lui valurent de nombreuses approbations.

C’est en 1842 que le lieutenant Maury fut nommé directeur du dépôt des cartes et des instruments de marine à Washington. Grâce à ses soins éclairés, à son intelligente initiative, à son énergique volonté, ce dépôt devint bientôt l’observatoire national et le département hydrographique des États-Unis. Un vaste champ s’ouvrit dès lors à son génie pratique, et il put espérer réaliser quelques-uns des projets, qu’il avait conçus pour le bien de son pays et pour le développement du commerce universel. Nous avons vu comment, onze ans auparavant, il avait constaté le manque de cartes indiquant aux navigateurs les routes et les courants des parages qu’ils avaient à traverser, et nous avons dit sa résolution de combler un jour, s’il le pouvait, cette lacune. En consultant les anciens journaux de bord, relégués depuis longtemps au dépôt de la marine, il en tira, non sans peine, toutes les observations valables qu’ils renfermaient. Il recueillit ensuite les meilleures informations sur la traversée des États-Unis à Rio Janeiro, et put construire, avec ces divers documents, les premières cartes de la série qu’il voulait ensuite compléter. Mais ces cartes, comme la plupart des innovations, ne furent pas appréciées tout d’abord, et il se passa quelque temps avant qu’on eu fît usage. Le capitaine Jackson, commandant le Wright, de Baltimore, fut le premier qui se détermina à suivre la nouvelle route qu’elles indiquaient. L’expérience réussit à souhait : il fit le voyage, aller et retour, dans le même temps à peu près qu’il fallait, par l’ancienne route, pour la seule traversée jusqu’à Rio. Encouragé par ce premier succès, Maury fit imprimer des journaux de bord contenant des colonnes pour l’enregistrement de tous les faits dont la connaissance pouvait servir à la construction des cartes. Ces journaux étaient remis aux capitaines des navires en partance ; ces officiers étaient invités à recueillir des matériaux durant leur voyage, afin d’obtenir des cartes en échange de leur collaboration. Le plus actif intérêt fut ainsi excité parmi les marins, et sur toutes les mers du globe l’entreprise commencée eut bientôt un grand nombre d’intelligents et zélés collaborateurs, dont les observations étaient recueillies et groupées à Washington.

Maury fut alors autorisé par son gouvernement à solliciter la coopération des États européens pour l’établissement d’un système général d’observations météorologiques à la mer. Des exemplaires de ses cartes et de ses instructions nautiques furent distribués aux marines militaires de ces États, et donnés aussi gratuitement aux capitaines des bâtiments de commerce, qui prenaient l’engagement de tenir leur journal de bord dans la forme prescrite, et de l’adresser, après chaque voyage soit à Washington, soit au bureau méléorologique dirigé par l’amiral Fitz-Roy, à Londres.

Élie Margollé.

La suite prochainement.


OMBRES EXTRAORDINAIRES
SPECTRES AÉRIENS ET AURÉOLES LUMINEUSES.

Tout le monde a entendu parler des illusions bizarres du mirage, des effets singuliers produits par la lumière, au milieu des sables brûlants du désert, ou à la surface glacée des banquises polaires. Mais le soleil donne souvent naissance à d’autres merveilles moins généralement connues, parce que leurs observations ont été plus rares ; nous voulons parler de ces ombres extraordinaires que certains voyageurs ont vu se projeter sur le brouillard des montagnes, ou sur les nuées atmosphériques, ombres étranges, qui apparaissent enveloppées d’auréoles colorées et de contours lumineux. Le soleil, il est vrai, n’est pas prodigue de ces jeux de lumière, on dirait même qu’il les révèle à regret, et seulement à l’explorateur assez audacieux, pour atteindre le sommet de montagnes peu fréquentées, ou pour s’élancer vers les hautes régions de l’air dans la nacelle d’un aérostat.

Il y a fort longtemps du reste que de semblables phénomènes, quelque exceptionnels qu’ils soient, ont été signalés ; depuis des époques très-reculées, la montagne du Brocken, célèbre dans le Hartz, en Hanovre, a été réputée comme le théâtre habituel d’apparitions extraordinaires. Les paysans du pays, vous parlent encore aujourd’hui du Brocken avec un certain effroi ; ce sommet, qu’ils croient ensorcelé, leur inspire des terreurs superstitieuses ; ils redoutent d’en faire l’ascension à l’heure du lever du soleil, car c’est à ce moment surtout, que d’après leurs récits, des spectres formidables apparaissent au sein de l’air, que des ombres colossales surgissent, au milieu des massifs de nuages. Quand ils se hasardent à gravir les rampes escarpées de la montagne, ils montrent au voyageur, durant la route, certaines pierres granitiques qu’ils appellent l’autel de la sorcière ou le rocher magique, ils s’arrêtent devant la fontaine enchantée, ils vous racontent que les anémones du Brocken sont douées de vertus particulières. D’après l’affirmation des archéologues allemands, ces dénominations remonteraient au temps où les Saxons adoraient encore leurs anciennes idoles, alors que le christianisme commençait à dominer les esprits des populations de la plaine. Il est probable que le spectre du Brocken, dont nous allons entretenir nos lecteurs, s’est souvent montré à cette époque, comme de nos jours, et qu’il avait sa part des tributs d’une idolâtrie superstitieuse.

Un des premiers observateurs, qui ait donné une description exacte, et rationnelle du spectre du Brocken, est le voyageur Hane, qui l’aperçut en l’année 1797. Avec une persévérance infatigable, ce naturaliste se rendit plus de trente fois au sommet du Brocken, sans que l’apparition se révélât à ses yeux. Mais sa ténacité eut enfin sa récompense. Un certain jour du mois de mai, Hane a gravi le Brocken ; il est arrivé au sommet de la montage à 4 heures du