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LA NATURE.

en état de recevoir un pareil traitement. Mais, d’après les calculs de M. Faucon, on pourrait facilement, à l’aide du canal d’irrigation projeté par M. Dumont dans la vallée du Rhône, inonder par jour 2 850 hectares avec une hauteur moyenne de 10 à 12 centimètres, ou au moins 1 500 hectares en tenant compte des pertes d’eau par la filtration ou par évaporation, ainsi que du surcroît de dépense nécessaire pour maintenir une épaisseur suffisante dans les nappes d’eau déjà déversées. Ce canal, déjà tracé tout entier sur le terrain depuis l’été dernier, doit dériver à la hauteur de Condrieu, près de Vienne, un volume d’eau de 33 mètres cubes par seconde à l’extrême étiage du Rhône et 45 mètres cubes dans l’état ordinaire ; il doit de là étendre ses eaux sur une étendue de 146 000 hectares appartenant aux quatre départements de la Drôme, de Vaucluse, du Gard et de l’Hérault, qui sont précisément les plus éprouvés. Le prix de revient de ce canal d’irrigation et des travaux d’endiguement nécessaires dans les points à pentes trop rapides, atteindrait à peine, d’après les estimations de M. Faucon, la somme de cent francs par hectare de vignes. Le remède de la submersion, si heureusement appliqué à Graveson, pourrait donc s’appliquer à presque tous les points de la région la plus maltraitée par le fléau.

La durée du séjour de l’eau varie avec les époques : quinze à vingt jours suffisent en septembre et en octobre, alors que le phylloxéra est encore dans la période de la vie active, mais trente à quarante jours d’immersion non interrompue sont nécessaires lorsque l’insecte est devenu plus capable de résister à l’asphyxie par suite de la suspension presque complète de toutes ses fonctions.

L’inondation est doublement avantageuse lorsqu’elle est faite avec de l’eau limoneuse, additionnée des substances minérales favorables à la végétation, car alors elle constitue un procédé à la fois curatif et cultural. Quelle que soit d’ailleurs la méthode curative que l’on applique, il est toujours indispensable de combiner son action avec celle des meilleurs engrais et des moyens culturaux les plus perfectionnés.

L’efficacité de la submersion est du reste affirmée par l’action destructrice que les pluies abondantes exercent sur les phylloxéras. Ainsi, celles qui, du commencement d’octobre 1872 au mois de février 1873, ont donné plus de 600 millimètres d’eau, en ont fait périr de grandes quantités.

Dans toutes les situations où l’eau de pluie a séjourné assez de temps pour pénétrer le sol et atteindre le parasite jusque dans ses retraites les plus profondes, et pour équivaloir ainsi à la submersion méthodique pratiquée par M. Faucon, il ne reste plus un seul parasite sur les racines. Mais on en trouve partout où, soit par suite d’une disposition orographique spéciale, soit à cause d’un simple défaut de perméabilité, la submersion naturelle n’a pas eu un effet assez prolongé.

Le procédé expérimenté à Graveson a fourni des preuves trop évidentes de son efficacité pour que son auteur ne cherche pas à en étendre autant que possible l’application. Les vignobles des coteaux eux-mêmes peuvent, d’après M. Faucon, être appelés à partager les bienfaits de la nouvelle méthode curative, et cela à l’aide de dispositions préparatoires très-simples. À cet effet, l’ingénieux viticulteur insiste pour que les propriétaires de ces vignobles, jusque-là considérés comme condamnés à une destruction irrémédiable, fassent établir en travers de la pente, de distance en distance, une série de bourrelets successifs, de 30 à 40 centimètres de hauteur, et plus ou moins rapprochés suivant la déclivité du terrain. Les masses d’eau qui tombent pendant la saison pluviale seraient ainsi facilement retenues pour la submersion des racines à l’aide de ces petits remblais étagés, disposés en courbes horizontales : certains terrains des plus inégalement mouvementés, et présentant parfois jusqu’à 7 centimètres de pente par mètre, ont pu être inondés ainsi d’une manière assez complète pour être préservés des atteintes de la maladie.

4o Moyens de destruction fondés sur l’observation des mœurs du phylloxéra. — Les heureux résultats des travaux d’Audouin sur la pyrale, de Doyère sur l’alucite des céréales, comme de ceux plus récents de M. Blanchard sur la noctuelle des moissons, montrent bien tout le parti qu’on peut tirer d’études biologiques conduites avec méthode et persévérance. La connaissance des moindres particularités qu’offre l’insecte nuisible dans sa manière de vivre et de se propager, peut seule fournir l’indication du moment d’attaque le plus opportun ; il est bien rare, en effet, qu’à une époque déterminée de son existence, s’il ne se livre pas pour ainsi dire lui-même, il ne soit pas au moins plus facile à atteindre.

L’observation faite par M. Faucon de phylloxéras radicicoles, aptères ou ailés, cheminant sur le sol pendant les heures chaudes de la journée, a suggéré l’idée de répandre au pied des ceps des poussières nuisibles telles que la chaux vive en poudre, employée avec tant de succès contre les colapses et les phytonomes des luzernières, ou la fleur de soufre déjà mortelle pour un grand nombre d’ennemis de la vigne et dont l’action nuisible sur le phylloxéra ne peut guère être mise en doute depuis qu’il est constaté, grâce aux expériences de M. Marès, que les femelles aptères périssent en peu de temps lorsqu’elles sont exposées au soleil dans un tube saupoudré de cette substance.

La marche ascensionnelle qu’exécute le phylloxéra le long des racines lorsqu’il quitte la souche épuisée par ses succions réitérées pour aller à la recherche d’une proie nouvelle, donne pour ainsi dire le conseil de badigeonner la base du cep, déchaussée au préalable sur une profondeur suffisante, à l’aide d’une substance agglutinante quelconque.

Les nouvelles observations de M. Max. Cornu, confirmées tout récemment par celles de M. Faucon,