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N° 6 — 12 JUILLET 1873.
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LA NATURE.

LE POLARIS
ET L’EXPÉDITION DE GUSTAVE LAMBERT.

Il y a deux mois, personne n’attendait des nouvelles du pôle Nord, on croyait la navigation des régions boréales interdite à tout être humain jusqu’aux jours chauds de l’été. Mais on comptait sans la banquise ; car un télégramme d’Amérique nous apprit, vers le milieu du mois de mai, que le navire la Tigresse avait trouvé près des côtes du Labrador une colonie de dix-neuf personnes, revenant du fond de la mer de Baffin, non pas à bord d’un navire, mais perchées sur un glaçon comme des ours blancs.

Les naufragés dont on opérait le sauvetage dans des conditions si extraordinaires faisaient partie de l’équipage du Polaris.

Ce navire avait quitté Washington au mois de juin 1871, sous le commandement du capitaine Hall, vaillant explorateur du pôle Nord, déjà célèbre par deux grandes expéditions, dans l’une desquelles il avait retrouvé les restes de l’expédition du capitaine Franklin.

Le Polaris, au milieu des glaces.

Les malheureux avaient été séparés de leur vaisseau en détresse dans une tempête qui avait éclaté au milieu de l’été 1872 ; depuis deux cents jours ils exécutaient la navigation la plus étonnante dont l’histoire fasse mention. Leurs aventures excitèrent une telle surprise en Amérique, que l’on commença par les accuser de désertion ; puis, lorsque leur innocence parut démontrée, on supposa que les quatorze marins qui étaient restés à bord du Polaris s’étaient volontairement séparés d’eux, il fallut une enquête minutieuse dont le journal anglais Nature annonce l’heureuse conclusion, pour persuader à l’amirauté fédérale que ni les naufragés ni leurs camarades n’avaient manqué à leurs devoirs. L’ouragan arrivant au milieu des ténèbres, pendant qu’une portion de l’équipage se trouvait sur la glace pour opérer le sauvetage des provisions à un moment où l’on croyait que le Polaris allait être englouti, voilà quelles sont les vraies causes d’une catastrophe inouïe.

Le départ du Polaris avait passé inaperçu, en France, à cause de la crise horrible que nous traversions. Mais il avait produit une véritable sensation en Amérique, où il semblait que la conquête du pôle Nord, forcément interrompue par la France, allait être réalisée. En effet, tous les plans du brave capitaine Lambert avaient été repris par le capitaine Hall sauf le choix de la route, car le Polaris remontait par la mer de Baffin, au lieu d’attaquer le grand problème par le détroit de Behring, comme notre vaillant compatriote l’avait proposé.

On n’a pas oublié qu’une portion des fonds prove-

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