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LA NATURE.

diverses natures servant à charger les torpilles et bombes sous-marines. Dans ces expériences, on enterrait la torpille à marée basse, on la déchargeait au moyen d’un courant électrique à marée haute, on notait photographiquement la hauteur à laquelle atteignait la colonne d’eau projetée en chaque cas en l’air, et puis, à marée basse, on notait encore l’étendue du cratère formé sur la côte par l’explosion. Dans chaque expérience, la chambre photographique a rempli sa mission d’une manière extrêmement satisfaisante. (Journal de Saint-Pétersbourg.)

Tunnel sous l’Hudson. — Il vient de se former aux États-Unis une compagnie qui se propose de relier New-York à Jersey-City, par un tunnel gigantesque passant sous l’Hudson. Les travaux qu’il s’agit d’exécuter sont considérables : ils offriraient des difficultés sérieuses, mais non insurmontables, et les actionnaires de la nouvelle société espèrent un succès magnifique. Le capital à souscrire devra être de 3 millions de dollars.


ACADÉMIE DES SCIENCES
Séance du 8 décembre 1873. — Présidence de M. de Quatrefages.

M. Gay. — A l’issue de la séance, le président annonce la perte que l’Académie vient de faire en la personne de M. Gay, et regrette qu’aucun botaniste ne soit là pour résumer les services rendus à la science par ce célèbre et modeste chercheur. Nous rappellerons que son nom est attaché à une immense étude sur le Chili, qui suppose chez celui qui l’a menée à bonne fin les aptitudes les plus variées. M. Gay fut si préoccupé de cette œuvre de toute sa vie, que, bien peu de temps avant sa mort, il se plaisait encore à passer en revue au Muséum les échantillons géologiques qu’il a rapportés de ses explorations dans l’Amérique du Sud.

La levûre de bière. — Pour les amis des discussions orageuses, la pièce importante de la séance est le mémoire lu par M. Trécul, au sujet de la levûre de bière. L’auteur, en effet, continue sa campagne contre M. Pasteur, avec toute la force dont peut disposer un botaniste luttant contre un chimiste qui s’est fourvoyé dans la botanique. On sait que M. Pasteur n’use pas toujours avec ses adversaires d’une modération exemplaire de langage ; M. Trécul le lui rend bien aujourd’hui. Montrant comment les diverses parties des travaux botaniques de M. Pasteur sont peu concordants, M. Trécul lit cette phrase que nous avons sténographiée au vol : « Je ne puis voir là qu’une de ces assertions équivoques, comme on en rencontre tant dans les travaux de M. Pasteur. » On conçoit que M. Pasteur voulait répondre sur-le-champ, et M. Balard s’est joint à lui pour essayer de lui faire obtenir la parole ; mais des amis mieux avisés du célèbre chimiste lui ont persuadé de remettre sa réplique à lundi prochain. Il s’agit là, en effet, des questions les plus délicates de la micrographie, et M. Trécul ne passe pas pour voir mal.

Analyse spectrale des étoiles. — Plus fructueuse pour la science sera sans doute cette autre discussion, qui a commencé aujourd’hui entre MM. Dumas, Le Verrier, Wurtz, Berthelot et Janssen, au sujet des recherches de M. Norman Lockyer sur la spectroscopie stellaire.

Le savant anglais, après avoir perfectionné les méthodes d’observation au point de pouvoir, dans une journée, étudier 3 000 coïncidences de raies spectrales, arrive aux deux conclusions suivantes :

1° Les métaux seuls et l’hydrogène donnent des raies fines. Les métalloïdes et les corps composés déterminent l’apparition de ces bandes plus ou moins larges désignées sous les noms de colonnes et de barres.

2° Lorsqu’on examine les étoiles, on est conduit, d’après l’examen de leurs raies spectrales, à les répartir en trois catégories dont le soleil, Sirius et les étoiles rouges peu brillantes sont les types.

En effet, dans le spectre du soleil, des raies fines indiquent d’après leur position la présence de l’hydrogène, du magnésium, du calcium, du fer, du strontium, du cérium, du cuivre, du plomb, du potassium, du sodium, etc. Et l’on peut remarquer que tous ces métaux donnent des oxydes irréductibles par la chaleur seule. Si on examine ensuite les étoiles les plus brillantes, telles que Sirius, on voit que l’hydrogène est beaucoup plus abondant. A côté de lui apparaît le magnésium. Au contraire, dans les étoiles moins brillantes, les étoiles rouges, on trouve, non plus des lignes fines comme précédemment, mais les barres et les colonnes caractérisant les corps non métalliques, comme la vapeur d’eau, et la combinaison des métaux avec d’autres substances.

D’après ces faits, l’auteur pense que dans les diverses réglons du ciel la matière peut n’être pas dans le même état de condensation. On se rappelle que Lavoisier regardait les éléments de la chimie non pas comme des corps indécomposables, mais seulement comme des corps indécomposés. Toutefois ce fait que le soleil lui-même avec les moyens dont il dispose, n’a pas réalisé la décomposition de nos corps simples, portait à penser que ceux-ci sont bien réellement élémentaires. Or, d’après M. Lockyer, il faudrait s’attendre à trouver dans les étoiles plus chaudes que le soleil nos éléments soumis à une véritable dissociation, et réduits en éléments plus élémentaires encore. On pourrait même croire que le passage de ces éléments à l’état où sont nos corps simples a dû mettre en mouvement une quantité énorme de chaleur, qui apporte un appoint important à l’entretien de la température des étoiles.

Ces conclusions soulèvent néanmoins des questions de thermochimie, que M. Berthelot s’empresse de signaler. La loi de Dulong, d’après laquelle la chaleur atomique de tous les corps simples est la même, fait de ces corps des substances tout à fait à part, et dont la complexité est bien difficile à admettre, en présence des propriétés thermiques si différentes des substances composées. D’ailleurs M. Wurtz fait remarquer que l’existence de l’hydrogène n’autoriserait pas à penser que ces éléments, en se condensant, donneraient de l’hydrogène. Ce peuvent être très-bien des corps simples analogues aux nôtres, quoique différents.

M. Janssen ajoute que tout en s’associant à ces réserves, il est d’avis que les diverses couleurs des étoiles, bleues, blanches, jaunes et rouges, indiquent des états successifs d’un refroidissement de plus en plus avancé au fur et à mesure duquel certaines combinaisons, jusque-là empêchées par la dissociation, deviennent possibles, il saisit l’occasion pour rappeler qu’il a émis ces idées bien avant M. Lockyer et pour protester de la satisfaction que lui inspirent les confirmations de l’astronome anglais.

C’est alors que toute cette discussion, jusque-là si exclusivement scientifique, a failli prendre un tout autre caractère. M. Dumas, d’une voix émue, s’est empressé d’appuyer la réclamation de M. Janssen et d’exprimer sa douleur de voir celui-ci, pendant que nos voisins d’outre-