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LA NATURE.

télégraphe aérien ne servait point à transporter les dépêches des particuliers. C’est alors que le gouvernement, voyant que l’on pouvait se passer de lui, prit la résolution de mettre ses appareils au service du public pour les nouvelles de cette nature, et l’entreprise qui avait eu de brillants débuts tomba entièrement.

Ce sont les services rendus par la poste aérienne qui ont attiré, d’une façon ineffaçable, l’attention publique sur le parti que l’on peut tirer des pigeons messagers. Déjà la Prusse a établi des colombiers de l’État dans ses principales places fortes ; Strasbourg et Metz ont une garnison… de pigeons allemands. La France n’a point été aussi rapide dans l’organisation de ses pigeonniers. Un rapport déposé, peu après le 24 mai, par M. Rampont et par M. le général Ragon, ne paraît point avoir eu de suites. Mais l’industrie privée vient remplir une lacune regrettable dans nos institutions publiques. Grâce au zèle avec lequel les journaux politiques luttent contre l’éloignement de l’Assemblée nationale, nous ne serons pas pris au dépourvu en cas de blocus nouveau.

Cette fois ce n’est pas seulement contre le télégraphe de Chappe que les pigeons ont à lutter, mais contre la vitesse de l’électricité, c’est-à-dire d’un fluide qui fait le tour du monde en une minute. Au premier abord, les chances paraissent inférieures à celles des tentatives dont nous avons déjà parlé. Mais la situation n’est plus la même parce que la distance qui sépare Paris de Versailles est trop faible pour que l’électricité ait le temps de faire briller dans sa lutte contre l’aile d’incroyable célérité dont la nature l’a dotée.

Les pigeons ne mettent pas plus de 15 à 20 minutes pour faire la route qui sépare la rue des Réservoirs de leurs pigeonniers. Ce laps de temps, qui permettrait à l’électricité d’aller jusqu’à la lune et d’en revenir, est bien moins long que les formalités nécessaires pour que l’appareil officiel se mette en mouvement. Les oiseaux n’ont pas besoin de tant de cérémonies, et pour les lancer dans les airs il suffit d’ouvrir un panier.

C’est la Liberté qui a eu l’initiative de cette belle innovation, rapidement adoptée par tous les journaux du soir. Depuis le commencement de la session 1873-1874 jusqu’à la fin de novembre, le service a marché sans entraves, mais les difficultés commencent avec les jours brumeux, car les pigeons ont besoin d’y voir très-clair pour reconnaître leur route. On peut dire, en effet, que c’est la vue qui les guide exclusivement et non pas un chimérique instinct d’orientation. Du moment qu’on écarte toute idée superstitieuse, on comprend qu’il soit nécessaire que l’air soit très-pur pour que les pigeons puissent apercevoir leur colombier. Malgré la puissance de leur organisation, ils ne pourraient saisir les points de repère dont ils ont gardé la mémoire si l’atmosphère leur cachait la forme du sol, le relief des montagnes et les détours des cours d’eau, en un mot tous les points de repère qui peuvent les guider.

La nuit, ils perdent presque entièrement leur faculté ; cependant lorsqu’il fait un beau clair de lune, ils peuvent revenir d’une faible distance, s’ils sont très-exercés. C’est ce qui fait que les journaux tels que le Soir n’ont point songé à se servir de ces intéressants oiseaux.

Pour faire porter leurs dépêches par voie aérienne, il faudrait que nos nocturnes confrères arrivassent à dresser des chouettes ou des hiboux. Mais le naturel de ces animaux ne paraît se prêter à aucune espèce d’éducation.

Nous avons représenté, dans notre première gravure, le pigeon messager en plein vol portant ses ailes étendues. C’est ainsi qu’on le verrait passer au-dessous de sa nacelle, si on l’observait du haut d’un aérostat.

L’autre dessin représente le pigeon migrateur, que nous avons cru également devoir placer sous les yeux du lecteur, comme terme de comparaison. Le développement du crâne de cette espèce, encore à l’état de nature, est bien moins considérable, et par conséquent l’instinct loin d’être aussi développé.

L’intelligent oiseau en volant tient la tête fortement tendue. Il la porte ainsi jetée en avant non-seulement pour qu’elle lui serve de contre-poids, mais encore pour discerner plus facilement tous les détails du paysage au-dessus duquel il passe si rapidement.

Ce robuste volant fournit avec un air calme un vol de 60 kilomètres à l’heure, et une course d’environ 1 000 kilomètres. Son vol est donc rapide, quoique bruyant et précipité, car ses ailes n’ont ni la longueur ni la forme de celles du faucon. Elles sont légèrement échancrées et tronquées vers le bout. Cette circonstance influe sur l’effet final, qui est beaucoup plus complexe qu’on ne saurait l’imaginer a priori.


L’EXPLOITATION DE LA TOURBE
AU CANADA.

Une des industries les plus florissantes des possessions anglaises du Canada est celle de l’exploitation de la tourbe ; l’importance qu’elle présente au point de vue commercial, la singularité des procédés d’extraction qu’elle nécessite, nous engagent doublement à en parler à nos lecteurs. Le journal anglais Engineering a reçu à ce sujet des documents tout à fait inédits et complètement ignorés en France ; nous lui empruntons les plus saillants d’entre eux, qui nous semblent offrir un intérêt spécial, à une époque où le monde industriel se préoccupe si sérieusement de la consommation houillère et de la possibilité d’utiliser de nouveaux combustibles.

Les vastes tourbières du Canada diffèrent considérablement de celles de la Somme et de l’Irlande. Dans cette dernière contrée, l’atmosphère est sans cesse chargée d’humidité ; la tourbe se forme rapidement.