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LA NATURE.

toire naturelle. De Zurich il passa à Heidelberg, et de Heidelberg à Munich, où il suivit pendant quatre ans les cours de Schelling, le philosophe idéaliste et éolutioniste par excellence. Pour Schelliug, en effet, il n’y a rien de vrai que les phénomènes de l’intelligence, et la nature entière n’est que la traduction matérielle des pensées de la Divinité. C’est, à cette forte école qu’Agassiz puisa le spiritualisme éclairé dont tous ses ouvrages sont animés. Partout, en effet, ce grand homme reconnaît la main de l’être suprême, dont son lumineux génie se plaît à décrire les chefs-d’œuvre. Nulle part ou ne trouve un esprit plus libéral, une horreur plus vive pour les conceptions étroites, un éloignement plus prononcé pour les matérialistes, qui veulent chasser Dieu de la nature. Retirez à Cuvier ses faiblesses et ses complaisances ; donnez-lui un milieu plus favorable au développement de ses doctrines, n’ayant plus à se préoccuper du soin de flatter les puissants de ce monde, et vous aurez Agassiz.

C’est en 1826, à peine à dix-neuf ans, qu’Agassiz commença à produire une œuvre. Il fut chargé par Martins de rédiger ses notes et de mettre en ordre les poissons qu’il avait rapportés du Brésil. Le talent avec lequel il s’acquitta de cette mission attira sur lui l’attention d’une grande maison de librairie de Leipzig. L’éditeur Cotta, de Leipzig, ayant besoin de faire terminer l’histoire de ses poissons d’Europe, jeta les yeux sur ce jeune savant ayant deux qualités : du talent à exploiter et des besoins à satisfaire. Agnssiz accepta ce qu’on lui donna et accomplit son œuvre de manière à ce que la postérité lui en tienne compte. Mais la fortune ne venait point ; Agassiz n’aurait pas eu l’argent nécessaire pour faire son pèlerinage à Paris et voir le grand Cuvier, si Christenat, un des amis de son père, ne fût venu pécuniairement à son aide.

La pierre d’Agassiz, ou l’Hôtel des Neuchâtelois

Protestant de naissance, et natif de Montbéliard, Cuvier ne pouvait manquer d’être sympathique au jeune voyageur. Comme lui, il avait été pauvre, comme lui il avait lutté contre l’exploitation du génie par l’inintelligence, comme lui il avait fréquenté les universités allemandes. Si Cuvier eût vécu, Agassiz fût peut-être resté dans cette France dont la langue était la sienne, et dont il est, au point de vue scientifique et littéraire, un des plus illustres enfants. Car sa méthode, son style et la tournure de son esprit, tout en lui, rappelle les grands auteurs de l’école française. Mais Cuvier succomba aussi rapidement qu’Agassiz devait succomber lui-même quarante et un ans plus tard, victime surtout de son ardeur au travail, de cette fièvre scientifique qui ravage les hautes intelligences et qui nous coûte tant d’existences précieuses.

Heureusement pour Agassiz, Neuchâtel appartenait au roi de Prusse, qui en était le prince ; et la cour de Berlin était en quelque sorte obligée de faire quelques sacrifices pour entretenir l’Académie dans un certain état de splendeur. Agassiz fut nommé professeur d’histoire naturelle dans cet établissement qu’il devait illustrer et où son talent attira de nombreux auditeurs. Il compta parmi ses élèves les plus assidus le prince Louis-Napoléon Bonaparte, qui était élevé avec le plus grand soin sous les yeux de la reine Hortense, et qui conserva pendant toute sa vie la plus