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elle se trouvait six mois auparavant et du point où elle se trouvera six mois plus tard. Autrement dit la distance d’un point quelconque de l’orbite terrestre au point où elle se trouve à six mois de différence est de 74 millions de lieues. C’est là une longueur respectable et qui peut servir de base à un triangle dont le sommet serait une étoile.

Le procédé pour mesurer la distance d’une étoile à la Terre consiste donc à observer minutieusement cette étoile à six mois d’intervalle, ou plutôt pendant une année entière, et à voir si cette étoile reste fixe, ou bien si elle subit un petit déplacement apparent de perspective, en raison du déplacement annuel de la terre autour du Soleil. Si elle reste fixe, c’est qu’elle est à une distance infinie de nous, à l’horizon du ciel pour ainsi dire, et que 74 millions de lieues sont comme zéro devant cet éloignement. Si elle se déplace, on constate qu’elle décrit pendant l’année une petite ellipse, reflet de la translation annuelle de la Terre. Chacun a pu remarquer, en voyageant en chemin de fer, que les arbres, les objets les plus proches, courent en sens contraire de nous, et d’autant plus vite qu’ils sont plus proches, tandis que les objets lointains situés à l’horizon restent fixes. C’est absolument le même effet qui se produit dans l’espace, par suite de notre mouvement annuel autour du Soleil. Seulement, quoique nous marchions incomparablement plus vite qu’un train express (onze cents fois plus !), et que nous fassions 650 000 lieues par jour, 27 500 lieues par heure, les étoiles sont toutes si éloignées, que c’est à peine si elles bougent. Nos 74 millions de lieues de déplacement ne sont presque rien, pour les plus proches même. Quel malheur de ne pas habiter Jupiter, Saturne, Uranus ou Neptune ! Avec leurs orbites cinq, neuf, dix-neuf et trente fois plus large que la nôtre, les habitants de ces planètes ont dû pouvoir déterminer la distance d’un bien plus grand nombre d’étoiles que nous n’avons encore pu le faire.

Ce moyen de mesurer la distance des étoiles par l’effet de perspective dû au déplacement annuel de la terre, avait déjà été deviné par les astronomes du siècle dernier et en particulier par Bradley, qui en essayant de mesurer la distance des étoiles par des observations combinées à six mois d’intervalle, trouva… autre chose. Au lieu de découvrir la distance des étoiles sur lesquelles s’étaient portées ses observations, il découvrit un phénomène d’optique fort important : l’aberration de la lumière, effet produit par la composition de la vitesse de la lumière avec le mouvement de la terre dans l’espace. C’est comme William Herschel, qui, en cherchant la parallaxe des étoiles par des comparaisons entre des étoiles brillantes avec leurs plus voisines, trouva les systèmes des étoiles doubles. C’est comme Fraunhofer qui, en cherchant les limites des couleurs du spectre solaire, trouva les raies d’absorption dont l’étude a fondé l’analyse spectrale. L’histoire des sciences nous montre que bien souvent les découvertes ont été faites par des recherches qui ne les concernaient qu’indirectement. En prétendant atteindre par l’ouest les frontières orientales de l’Asie, Christophe Colomb découvrit le nouveau monde. Il ne l’eût point découvert, et ne l’eût point cherché, s’il eût connu la véritable distance qui sépare le Portugal du Kamtchatka.

On ne connaît la distance de quelques étoiles que depuis l’année 1840. C’est dire combien cette découverte est récente, et c’est à peine si l’on commence maintenant à se former une idée approchée des distances réelles qui séparent les étoiles entre elles. La parallaxe de la 61e du Cygne, la première qui ait été connue, a été déterminée par Bessel et résulte d’observations faites à Kœnisberg, de 1837 à 1840. Déjà, en 1812, Arago et M. Mathieu, le doyen actuel du Bureau des longitudes, avaient fait des observations sur cette étoile, mais sans arriver à des résultats certains[1]. Le premier résultat relatif à la distance des étoiles est celui de Bessel, et date de 1840. La parallaxe de l’étoile Alpha de la Lyre a été trouvée par Struve, à la suite d’observations faites à Dorpat, de 1835 à 1838, et a été publiée après 1840. Il en est de même de celle de l’étoile Alpha du Centaure, observée en 1832 et 1839 au cap de Bonne-Espérance, par Henderson et Maclear, et qui se trouve être l’étoile la plus rapprochée de nous.

Deux méthodes se présentent pour déterminer ces parallaxes. La première consiste à comparer entre elles les positions observées à six mois d’intervalle ; la seconde, à découvrir un mouvement apparent dans une étoile (comparée à une étoile immobile située beaucoup plus loin que celle qu’on étudie), mouvement apparent dû à la perspective causée par la translation annuelle de la Terre sur son orbite. Cette dernière méthode est maintenant la plus employée. Le résultat de l’une et de l’autre est de montrer sous quel angle on verrait de l’étoile le demi-diamètre de l’orbite terrestre.

Galilée, dans ses dialogues (Giornata terza) ; Gregory, en 1675, à la Société royale de Londres ; Huyghens, dans son Cosmotheros, publié en 1695 ; Condorcet, dans son éloge de Roemer, en 1773 ; William Herschel, en 1781, ont décrit l’une et l’autre de ces méthodes. Hooke, Flamsteed, Cassini, Bradley, Robert Long, Ilerschel, Piazzi, Brinkley ont essayé, de 1674 à 1820, de déterminer la faible quantité du mouvement apparent des étoiles les plus brillantes, que l’on considérait comme les plus proches ; mais leurs efforts furent infructueux, à cause de l’exiguïté de ce mouvement. Il fallait des instruments d’une précision extrême, un esprit d’observation rigoureux, et une patience à toute épreuve pour obtenir des résultats dignes de confiance.

Depuis l’année 1840, l’attention des astronomes s’est souvent portée vers cette même recherche, et des milliers de calculs ont été faits. On est parvenu à grand’peine à déterminer la parallaxe de quelques étoiles. Et encore les erreurs d’observation inévita-

  1. Voy. Arago, Mémoires scientifiques, t. II, p. 201, et Astronomie populaire, t. I, p. 444.