Page:La Nature, 1877, S2.djvu/90

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et des magnoliers ; mais on constate aussi, dans la même flore arctique, l’absence des palmiers, des dracénées et des pandanées, et dès ce moment, les pays situés en dedans du cercle polaire, présentent une flore qui contraste par son caractère moins méridional, et spécialement par la rareté des types à feuilles persistantes et des familles d’affinité nettement tropicale, avec celle dont l’Europe éocène nous a fourni l’exemple, que notre continent possédait encore du temps de l’oligocène, et qu’il conserva, partiellement au moins, jusqu’à la terminaison de l’âge suivant ou miocène.

À cette époque, sur un horizon que tout convie à paralléliser avec celui de l’éocène supérieur ou de l’oligocène d’Europe, les terres arctiques, parsemées de grands lacs, alimentés par des eaux jaillissantes, thermales, calcarifères, siliceuses, surtout ferrugineuses ; déjà tourmentées par des éruptions basaltiques, et subissant les mêmes phénomènes dont notre continent donnait alors le spectacle, étaient ombragées de vastes forêts, dont il a été possible de reconstituer les traits d’ensemble. C’est là que la plupart des espèces appartenant aux genres Séquoia, Taxodium, Glyptostrobus, Libocedrus, Chamœcyparis, Torrega, Satisburia, etc., qui s’introduisirent dans l’Europe tertiaire, paraissent avoir eu leur berceau ; c’est là que l’on observe réunis, comme dans une région mère d’où ils auraient rayonné pour se propager au loin vers le sud, les sapins, les hêtres, les châtaigniers, les chênes-rouvres, les noisetiers, les platanes, les liquidambars, les tilleuls, les ormes, bouleaux, sassafras, etc., et tant d’autres arbres qui, d’abord rares et disséminés, lors de leur immigration en Europe, s’y multiplièrent ensuite et marchèrent dans la direction du sud pour occuper finalement notre zone tempérée tout entière. Ce sont ces plantes puissantes, robustes, déjà adaptées à un climat relativement plus rude, envahissantes et sociales, qui allèrent partout former des bois ou suivre les eaux et servir de rideau aux fleuves, dont le cours commençait à se dessiner. C’est effectivement l’âge dans lequel les diverses parties de notre continent se soudent peu à peu à l’aide d’émersions partielles et renouvelées. L’orographie longtemps indécise, finira par accentuer ses traits, et les vallées, d’abord fermées par une foule d’obstacles, ouvriront un accès de moins en moins difficile aux eaux courantes, vers les différentes mers ; mais ce travail d’un continent qui se forme, ne s’est pas effectué en un jour : avant d’aboutir à la configuration que nous avons sous les yeux, il a été interrompu à plusieurs reprises et même exposé à des retours qui semblaient devoir amener des résultats bien différents de ceux dont nous constatons l’existence. Disons quelques mots de ces événements géologiques, dont l’influence s’est d’ailleurs étendue à la végétation elle-même, dont elle a contribué à modifier l’aspect.

La mer qui avait si longtemps occupé l’emplacement actuel des Alpes, en suivant la direction de cette chaîne, dessinée alors par de faibles reliefs, s’était desséchée peu à peu ; au lieu d’un bassin puissant et continu, elle ne présentait au regard de l’explorateur qu’une série de lagunes salées, peu profondes et irrégulières, sans communication avec les mers de l’époque, qui du reste, au sud comme au nord, s’étaient beaucoup éloignées de la région des Alpes. Les sédiments déposés au fond de ces lagunes ont reçu le nom de Flysch ou schistes à Fucoïdes. Ils ne contiennent aucune trace de coquilles, mais ils sont pétris et parfois entièrement composés d’impressions d’algues, dont les eaux du Flysch, sans doute peu profondes et fortement salées, avaient favorisé la multiplication. Une circonstance singulière semble prouver que ces eaux, comme la Caspienne et la mer d’Aral, constitueraient effectivement des bassins fermés, délaissements d’une mer intérieure, réduite à un espace de plus en plus faible et sur le point de disparaître complètement ; effectivement, non-seulement les algues du Flysch n’ont que des rapports éloignés avec celles de nos mers actuelles, mais par les types qu’elles comprennent, elles se lient, étroitement à la flore algologique des mers secondaires ; les genres éteints Chondrites, Phymatoderma, Munsteria, Zoophycos, Zonarites, etc. (Voy. quelques-uns de ces genres représentés fig. 5), continuent à s’y montrer comme dans des temps bien plus reculés, et de plus, les principales espèces du Flysch, comparées à celles de la craie de Bidard, près de Biarritz, ne présentent réellement aucune différence sensible qui les sépare de ces dernières. Il faut en conclure que ces formes, dont quelques-unes, avec des variations très-faibles, remontent à l’âge paléozoïque, avaient dû le prolongement de leur existence, au sein d’une nature presque entièrement renouvelée, à la persistance d’une mer fermée ; après avoir trouvé un asile sûr dans ses eaux, elles disparurent pour toujours, lorsque les dernières lagunes du Flysch achevèrent de se dessécher.

La région des Alpes actuelles constituait ainsi une région à part, probablement disposée en plateau, couverte de plaques salées, à l’exemple de ce que montrent maintenant certaines contrées désertes de l’Asie et de l’Afrique intérieure.

Vers la fin de la période éocène, la mer s’était graduellement retirée, en Europe, de tous les points précédemment occupés. Les dépôts marins correspondant directement à l’éocène tout à fait supérieur, à l’étage ligurien de M. Mayer, aux gypses d’Aix et de Montmartre, et à l’âge paléothérien proprement dit sont partout extrêmement rares ou très-douteux, tandis que les formations lacustres se multiplient et persistent pour la plupart sans beaucoup de variations dans les mêmes cuvettes. En un mot, comme le formulait dernièrement devant moi un observateur des plus habiles[1] dont je sollicitais l’opinion, ou ne retrouve que sur quelques points du littoral actuel de l’Europe des vestiges pouvant se rapporter

  1. M. R. Tournouër, président de la Société géologique de France.