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térieur à l’intérieur, à l’aide d’une corde que peut tirer l’aéronaute dans la nacelle ; ils se referment automatiquement sous l’action de lanières de caoutchouc qui se tendent à leur partie supérieure. La fermeture hermétique de ces clapets de bois est grossièrement obtenue au moyen d’un mélange de suif et de graine de lin, que l’on applique dans les rainures et les joints de la soupape. Les aéronautes désignent sous le nom de cataplasme cette mixture barbare.

M. Henry Giffard a modifié de toutes pièces la construction de la soupape aérostatique. Celle qui se trouve placée à la partie supérieure du ballon captif, et qui n’existe que comme instrument de précaution, dans le cas très-improbable de la rupture du câble, est une pièce très-considérable. Elle est formée d’un grand disque métallique de 0m,55 de diamètre, garni à sa partie supérieure, d’une saillie circulaire métallique qui produit une fermeture hermétique, en venant s’appuyer contre une couronne de caoutchouc. Le disque de la soupape est maintenu appuyé contre l’anneau de caoutchouc au moyen de ressorts à boudins comme le montre la coupe ci-jointe (fig. 2). Les aéronautes peuvent ouvrir la soupape en tirant la corde R qui descend jusque dans la nacelle. La soupape supérieure est montée au centre d’une étoffe très-épaisse circulaire, qui est pincée, avec l’étoffe du ballon, dans deux cercles de bois G, H, serrés entre eux avec des boulons. C’est autour de ces deux grands cercles de bois que se trouve posée la couronne en corde du filet E, E’.

La soupape supérieure est abritée de la pluie et des intempéries de l’air par une tente d’abri, CD, formée d’une solide charpente de bois, montée sur des ressorts, et recouverte d’une étoffe tendue par des cordelettes autour du cercle M, N.

La soupape inférieure est formée d’un grand disque métallique de 0m,80 de diamètre maintenu par des ressorts d’une grande sensibilité. Ce disque s’ouvre automatiquement sous de très-faibles pressions, pour laisser échapper le gaz en excès sous l’influence de la dilatation. La soupape est montée comme celle du haut dans une collerette d’étoffe épaisse et qui supporte en outre : 1o le tuyau de gonflement ; 2o la pièce métallique dans laquelle passe à frottement doux la corde de la soupape supérieure ; 3o un jour de verre à travers lequel on peut examiner l’intérieur du ballon ; 4o un manomètre. Autour du grand cercle de la soupape, on a fixé une série de tendeurs de caoutchouc qui empêchent l’aérostat de faire poche sous l’action du vent, en la maintenant toujours bien tendue.

Le grand ballon captif a fonctionné pour la première fois le 19 juillet, à 6 heures du soir.

Les aéronautes, MM. Eugène et Jules Godard et Camille Dartois avaient pris place dans la nacelle accompagnés de M. Corot, ingénieur de la maison Flaud et Cohendet, et de mon frère Albert et moi.

Le vent N-E. était assez vif et lança l’aérostat à 300 mètres d’altitude au-dessus de la Seine. Les amateurs qui prenaient leurs ébats, dans le bain froid du Pont-Royal, furent tout surpris d’apercevoir le géant aérien qui planait au-dessus de leurs têtes : une foule considérable s’était amassée sur la place du Carrousel, dans le jardin des Tuileries et jusque sur la place de la Concorde ; les rues avoisinantes étaient couvertes de spectateurs ; nous entendions les clameurs et les applaudissements qui montaient jusqu’à nous comme le murmure des flots s’élevant de la mer. L’air était vif, le vent sifflait dans les cordages comme à bord d’un navire ; la traction de l’aérostat sur le peson ne dépassait pas cependant 6 500 à 7 000 kilogrammes.

Le peson qui unit le ballon au câble est suspendu au centre de l’espace annulaire qui entoure la galerie de la nacelle. Il est représenté en détail par la fig. 1. Ce peson est formé de deux cylindres d’acier reliés entre eux par huit ressorts de fer. Quatre cadrans verticaux donnent au moyen d’aiguilles, les efforts de traction en kilogrammes auquel est soumis cette espèce de dynamomètre. Les aéronautes et les voyageurs dans la nacelle peuvent donc savoir pendant l’ascension quel est l’excédant de force ascensionnelle de l’aérostat, et de quel effort est l’action du vent sur le câble.

Le peson du ballon captif a été gradué avec beaucoup d’exactitude par M. H. Giffard au moyen de poids qu’on y a suspendus ; il donne des indications précises pour des tractions variant de 100 à 12 000 kilogrammes.

La seconde ascension d’essai a eu lieu le 21, à 5 heures 40’ au soir. Le temps était orageux, très-lourd, l’air calme. La température à terre était de 28°,50 ; à 340 mètres d’altitude, elle était de 26° ; le thermomètre à boule mouillée marquait 19°. Les voyageurs étaient au nombre de quatorze : MM. Vrignault, rédacteur en chef du journal le Soir, MM. Le Reboullet et W. de Fonvielle, rédacteurs du Temps, U. de Fonvielle, rédacteur du National, Bourdais, architecte du Trocadéro, avaient pris place dans la nacelle avec M. et madame Camille d’Artois, M. et madame Jules Godard, M. Eugène Godard, M. Louis Godard jeune, M. Corot, ingénieur, M. Dardaud, contre-maître de la corderie du ballon captif et moi. Pendant le cours de ces deux ascensions préliminaires, M. Henry Giffard a conduit les machines.

Le lundi 22, le grand ballon captif a exécuté cinq ascensions consécutives avec 30 ou 40 personnes dans la nacelle à chaque voyage. Les membres de la Commission scientifique nommée par M. le Préfet de Police, pour examiner le matériel, et qui est composée de savants et d’ingénieurs émérites, ont participé à la seconde de ces ascensions ; M. le Préfet de Police a voulu lui-même monter dans la nacelle. Plusieurs membres de l’Académie des sciences, et les représentants de la Presse ont pris part à cette inauguration.

Gaston Tissandier.

La suite prochainement. —