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Page:La Normandie littéraire, année 15, tomes 7-8, numéros 1 à 11, 1900.djvu/130

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pour arriver au même résultat car si l’instrument différait, l’un et l’autre n’en produisaient pas moins des œuvres également musicales et harmonieuses. « Ils furent des artistes de nature : ils étaient nés grands écrivains : ils l’étaient dès la première page. » [1]

Et puis, Madame Sand était femme aussi et de la femme elle eut toutes les faiblesses. On lui reprocha d’avoir eu le cœur mouvant comme le sable des grèves de Venise tant foulées par elle, aux heures équivoques de sa vie, quand, par les nuits heureuses, elle allait écouter en rêvant les barcaroles des pêcheurs de l’Adriatique ou les roulades que se lançaient des balcons les rossignols apprivoisés. Shakespeare l’eût accusée d’avoir une âme « changeante comme l’opâle aux mille couleurs ».

De la femme, elle eut la bonté, la compassion avec des nuances exquises de tendresse. Cette bonté et cette sensibilité ont été la cause de nombreuses erreurs pour elle, la cause de son adhésion aux théories humanitaires dont elle ne percevait pas le danger sous leur vernis d’humanité. Madame Sand fut bien femme encore en ce sens que, dans ses livres, elle avait peur du vrai sens des mots ; elle n’en connaissait pas toujours la valeur ; elle les maniait et les disposait à sa guise. Elle aimait à se mettre en scène et à se révolter contre la situation imposée par le monde aux épouses transfuges de leurs devoirs. Elle prétend que l’amour purifie tout. Mais beaucoup de ses paradoxes sur la religion, sur la société, sur le mariage sont des phrases de créature nerveuse, vexée, car au fond cette femme si trompée par la vie, et qui dissertait si faussement dans ses romans « concevait le mariage tel que l’a fait Jésus et tel que l’a expliqué saint Paul ». M. Nisard n’en avait pas moins raison de penser qu’il eût été peut-être « plus héroïque à qui n’avait pas eu le bon lot, de ne pas scandaliser le monde avec son malheur en faisant d’un cas privé une question sociale ».

Ses œuvres ont encore ces qualités toutes féminines : la grâce et l’élégance, la mobilité de pensée et de sentiment, la variété et l’exubérance dans le récit. Que de digressions délicieuses dans ses livres, inutiles souvent, mais charmantes ! Que de jolies pages sur

  1. Caro, ouvrage sur G. Sand. Collection des grands écrivains.